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Les Variations Goldberg sous les doigts de l’accordéoniste Fanny Vicens

Écrites pour un clavecin à deux claviers, les Variations Goldberg BWV 988 de J.S.Bach sont également jouées au piano, à l'orgue, arrangées pour trio à cordes… les grave pour l'accordéon, dans leur version originale que l'instrument à deux claviers restitue parfaitement.

On connait l'engagement de l'accordéoniste pour la création contemporaine et ses recherches dans le domaine de la lutherie qui l'amène à concevoir l'accordéon microtonal qu'elle joue en duo avec Jean-Étienne Sotty. Les « Goldberg » sont à son répertoire depuis une dizaine d'années – précisions qu'elle est aussi pianiste – qu'elle a souvent jouées en concert et qu'elle enregistre aujourd'hui dans la pleine maturité de son art, avec une intelligence du texte et une maîtrise de son instrument inégalées.

L'Aria inaugural nous saisit d'emblée, joué avec cette légère inégalité des notes brèves qui fait avancer le discours sans compromettre la belle assise rythmique qu'installe l'interprète. L'homogénéité du son y est admirable et la polyphonie parfaitement équilibrée, laissant entendre, au gré des tenues de l'instrument, la conduite de chaque partie. joue l'Aria avec ses deux reprises, choisissant, pour des raisons de timing, de supprimer la seconde dans les pièces les plus longues de ces trente variations.

L'élan est optimal et l'articulation soignée dans une première variation magistrale où la seconde voix suit comme son ombre la ligne principale jouée au juste tempo. Aucun détail n'échappe à la musicienne, menant canons et fugues avec rigueur sans entraver la fluidité du discours et la dimension du chant éminemment présent dans le jeu de l'accordéoniste. La mélodie plane au-dessus de la ligne de basse dans la treizième variation, premier sommet d'expression des « Goldberg ». La grande arabesque se déploie avec une délicatesse et un dosage idéal des sonorités sous les doigts de notre accordéoniste qui fait oublier le soufflet de son instrument. La variation suivante balaie le souvenir de la précédente, dont la sonorité acquiert cette qualité plastique et joueuse, presque rustique, qu'autorise l'accordéon.

L'Ouverture à la française (n° 16) et son rythme pointé marque la césure au mitan des variations : chef d'œuvre d'écriture dont l'accordéon restitue certainement mieux que tous les claviers l'envergure orchestrale à laquelle prête une énergie décuplée. La variation suivante n'en paraît que plus détendue et un rien espiègle, avec ses lignes disjointes qui balaient l'espace et s'échangent d'un clavier à l'autre. Le soin de l'articulation (détaché, louré, lié par deux) est garant de la transparence du contrepoint dans le canon à la sixte d'une belle clarté. Les variations suivantes profitent des qualités stéréophoniques de l'accordéon qui s'exercent notamment dans la très belle variation n° 29 et ses accords libérant le « plein-jeu » de l'instrument. En mineur, la variation 25, notée Adagio, est conçue dans une tension chromatique exacerbée. Fanny Vicens l'aborde avec retenue et finesse, nous entraînant dans ce labyrinthe harmonique avec la sensibilité d'une musicienne accomplie. Jubilatoire, la variation 26 est un nouvel élan pour les cinq dernières, la plus rapide également dans cet enregistrement. L'égalité des claviers dans le continuum des double croches et la définition du son laissent apprécier les qualités virtuoses de l'interprète.

L'Aria est rejoué sans les reprises cette fois, avec cette même plénitude et respiration dans la phrase ; elle s'entend avec plus de profondeur encore, au terme de ce long processus de métamorphose où Bach livre la quintessence de son art.

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