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Khatia Buniatishvili et Klaus Mäkelä : du sourire aux larmes

Avec l'humoristique Tricorne de , les somptueuses Images pour orchestre de Debussy, le lancinant Boléro de Ravel et le pathétique Concerto n° 1 pour piano de Tchaïkovski, et nous invitent à un haletant parcours orchestral qui nous conduit du sourire aux larmes…

De la farce et de la danse pour débuter la soirée avec la Suite n° 2 du Tricorne de . Une pièce orchestrale tirée d'El Sombrero de tres picos composée pour les Ballets russes, sur une chorégraphie de Léonide Massine, des décors de Picasso, dirigée par Ansermet lors de sa création à Londres en 1919. En s'appuyant sur un phrasé très descriptif, plein d'allegria, nous brosse, en trois danses folkloriques, les piquantes aventures amoureuses du vieux magistrat moqué par un couple de jeunes meuniers… Une pantalonnade aux riches accents hispanisants portée par une direction enflammée qui voit se succéder une fringante, souple et voluptueuse séguidilla, une pesante farruca ironiquement alourdie par un basson pataud et une jubilatoire jota scandée par des cuivres retentissants et d'emblématiques castagnettes.

Après le rire, les larmes : véritable tarte à la crème du répertoire pianistique dont la notoriété rend toute interprétation hasardeuse, le Concerto pour piano n° 1 de Tchaïkovski reste cependant une étape obligatoire pour tout pianiste de concert. Khatia Bunatishvili s'y frotte ce soir sans s'y piquer avec un brio capable de concilier une dynamique virtuose et des épanchements lyriques à nous tirer les larmes…Après une entame majestueuse aux cordes, le piano fait une entrée orchestrale sur des accords violemment plaqués auxquels succèdent bientôt une émouvante cantilène du hautbois d'Alexandre Gattet. La polyphonie est dense parcourue d'inquiétantes couleurs préfigurant la « Pathétique » par ses accents fatalistes. Loin de tout pathos emphatique et sirupeux, impose un discours oscillant entre violence et affliction par son jeu virtuose et très engagé dans une interprétation haute en couleurs, à fleur de peau. La verve pianistique se morcelle ensuite en staccatos d'accords évanescents aux allures chopinesques dans l'Andantino avant que la virtuosité confondante de la soliste ne reprenne ses droits dans la joute entre orchestre et soliste très démonstrative de l'Allegro conclusif, nimbé d'une slavitude bondissante qui n'est pas sans rappeler certaines pages de la Belle au bois dormant.

Un poignant et mélancolique Ständchen extrait du Schwanengesang de Schubert conclut cette belle première partie.

La seconde partie est entièrement dédiée à la musique française avec les Images pour orchestre de Debussy et Le Boléro de Ravel. Si Mäkelä peine à convaincre totalement face à la foisonnante orchestration debussyste de Gigues, Iberia et Rondes de printemps où il se perd quelque peu dans une lecture trop analytique qui lâche la proie pour l'ombre, échouant à restituer dans leur entièreté les subtiles effluves d'une Espagne fantasmée, son interprétation du célèbre Boléro de Ravel est en revanche un modèle du genre : précision rythmique, soli irréprochables, phrasé envoutant, dynamique implacable, tension insoutenable perdureront jusqu'au rugissement final libérateur concrétisant, de facto, une complicité palpable avec la phalange parisienne et la poursuite sans réserve de l'embellie entre le jeune chef et son orchestre…

Crédit photographique : © Vlava Krassilnikova / Best image

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