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Strasbourg : Così Fan Tutte verse dans la tragédie

En traversant les deux guerres mondiales, le Così Fan Tutte raconté par oublie crédibilité et légèreté. Une belle interprétation musicale compense en partie ce nouveau spectacle de l'Opéra national du Rhin.

Qu'a voulu nous dire le metteur en scène  ? Au lendemain de la première du nouveau Così Fan Tutte que présente l'Opéra national du Rhin, on s'interroge encore. L'action ramassée du troisième chef-d'œuvre issu de la collaboration entre Mozart et Da Ponte s'étale ici sur une quarantaine d'années, précisément de 1913 à 1950 comme l'indiquent les surtitres qui s'affichent tout au long du spectacle. Le goût et la mode de la période des deux conflits mondiaux et des « Années folles » qui les séparent sont parfaitement évoqués dans les parois mobiles et changeantes du décor de Jo Schramm et dans les costumes très soignés et réalistes de Bettina Walter. Le départ à la guerre de Ferrando et Guglielmo n'est pas une comédie visant à tester la fidélité de leurs amantes mais une mobilisation bien réelle en 1914 puis 1939. Quand ils reviennent en 1918, ce n'est pas sous le costume d'Albanais méconnaissables et séducteurs mais en poilus éclopés qui suscitent bien plus la pitié que le désir chez Fiordiligi et Dorabella. Grâce à la comédie de l'empoisonnement feint (ici une farce sur la scène d'une « revue tropicale » dont personne n'est dupe), les couples se reforment néanmoins. Au début du second acte, l'habitude et le conformisme ont fait leur œuvre et tous s'ennuient visiblement. Pour pimenter le quotidien, ils s'essaient à un marivaudage qui recompose les couples (bien tardivement par rapport au livret) dans l'atmosphère d'un cabaret fortement érotisé. explore donc l'évolution des rapports hommes-femmes et de leurs aspirations changeantes à travers le temps avec des personnages qui eux ne vieillissent pas. Soit !

Si jusque là, son postulat pouvait se tenir, rien ne va plus avec la scène finale. On ne comprend pas à quelle configuration finale aboutit le mariage de Fiordiligi avec Ferrando et de Dorabella avec Guglielmo, interrompu par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, lors du retour des garçons (cette fois indemnes). Les péripéties du livret et le texte s'accordent mal au concept, même avec une traduction adaptée dans les sur-titres. La psychologie des caractères, certes variable et évolutive sur une aussi longue période, demeure incompréhensible malgré une direction d'acteurs soignée et exigeante pour les chanteurs. La guerre et sa tragédie sont omniprésentes ; le cadavre d'un soldat s'abat sur le plateau tandis que Despina chante « In uomini, in soldati », des échos de bombardement se font entendre, le tableau final est précédé d'un moment de suspension évoquant la bombe atomique qui descend des cintres tandis que le chœur chante en coulisses un canon de Mozart… Pour la légèreté de Mozart et da Ponte, pour le côté doux-amer du livret, pour la poésie de la partition, il faudra chercher ailleurs que la démonstration brillante mais trop lourde et appuyée de David Hermann.

Bien que désarçonné par ce qu'il voit en scène, le spectateur peut néanmoins goûter quelques satisfactions musicales. est une fort belle Fiordiligi, à l'aise sur toute la tessiture étendue du rôle jusqu'en ses graves assassins, au timbre un peu métallique mais d'un grand dramatisme et d'une vigoureuse intensité. est plus en retrait dans le rôle de Dorabella, qui semble un tantinet trop large pour elle, l'obligeant à forcer et à compromettre parfois la justesse ; à sa décharge, le tempo très rapide choisi par le chef pour « Smanie implacabili » traduit bien l'urgence mais l'empêche de respirer. Du côté des garçons, est un très attrayant Ferrando à la voix suave et pleine d'aisance, à l'homogénéité parfaite, au legato soigné. se fait également remarquer en Guglielmo très rond et séduisant de timbre, très percutant et sonore de projection. En Don Alfonso dépassé par les évènements qu'il a pourtant initiés, possède toujours une belle présence scénique et une puissante intensité mais le timbre hélas désormais appauvri et le souffle devenu plus court l'obligent souvent à forcer. La véritable maîtresse du jeu est la rouée Despina, où est épatante de finesse et de piquant.

Suivi parfaitement dans ses choix par l'Orchestre symphonique de Strasbourg, le chef n'essaye pas de sonner baroque mais propose avec raison une interprétation plus classique. Il a tendance à exacerber les contrastes de tempo ; l'ouverture très rapide manque de respiration, « Smanie implacabili », on l'a dit, étouffe la chanteuse. À l'inverse, le quintette « Di scrivermi ogni giorno » ou le terzetto qui suit « Soave sia il vento » s'alanguissent jusqu'à perdre en cohérence. Néanmoins, la battue nette et franche assure une synchronisation irréprochable avec le plateau.

Crédits photographiques : (Guglielmo), (Dorabella) / (Ferrando), (Fiordiligi), (Dorabella), (Guglielmo) © Klara Beck

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