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Ramon Lazkano : Capter l’éphémère

C'est de l'ineffable d'Edmond Jabès (1912-1991) que s'origine la musique de dans ce nouveau CD monographique, « Dyptique Jabès », captation du concert donné au festival Présences de Radio France 2017 réunissant deux pièces qui se font écho.

Comme dans Laboratoire des craies, un cycle instrumental (2001-2011) rendant hommage au sculpteur Jorge Oteiza, le compositeur basque éprouve la matière sonore dans sa fragilité et sa fugacité, attachée cette fois aux mots de Jabès, « insaisissables comme une poudre qui s'échappe entre les doigts de la main », nous dit-il. C'est précisément cette main – « À chaque page, sa main ; / à chaque âge ; / mais aussi à chaque ombre ; / ombre de ma main. » – qui est célébrée par le poète dans la première pièce pour voix soliste et ensemble, Voix surplombe (2012-2013) : les sept poèmes aphoristiques (« Main douce à la blessure même »), alternant friction sensorielle et réflexion sur le temps et la mort, guident le compositeur dans son labyrinthe temporel. Voix et instruments – la soprano Johanna Zimmer et L'Instant donné idéalement fusionnels – interagissent pour générer le timbre et ciseler les figures sonores, entre courbes sensuelles et profils acérés, dans un mouvement soumis au débit toujours inattendu de la voix. Elle est toujours là, même dans les prélude et interlude sans texte où la musique pulsée et fluide file droit avant d'infléchir son cours pour rejoindre l'univers de Jabès, son rythme et sa temporalité.

La main, présence jabèsienne – « Une main suffit au livre » – s'inscrit également dans Ceux à qui, autre recueil du poète dont la deuxième pièce du CD emprunte le titre. Écrite en 2014, dans l'élan de la première, la pièce réunit L'Instant donné et les Neue Vocalsolisten de Stuttgart sous la direction de .

Ce sont treize poèmes d'une grande beauté (parfois un seul vers par numéro) dont Lazkano modifie sensiblement le découpage, en donnant un titre à chacune des vingt-quatre sections de sa composition. Le texte y est plus diffracté encore par la voix multiple de l'ensemble. L'écriture aux instances bruitées (sifflets, chuchotements, consonnes percussives) pulvérise parfois le mot sans que le sens nous échappe pour autant. La partition chez Lazkano est toujours laboratoire du timbre, faisant appel, dans Ceux à qui, à des instruments rares comme le hautbois baryton, les sonorités flottantes des steel drums qu'il affectionne et la raucité du son fry toujours saisissant, émis par la voix laryngée d'Andreas Fischer. C'est encore le texte qui résonne, même absent, dans les deux interludes, courts autant que fulgurants, où les instruments convoqués (les coups de la grosse caisse laissant ses partenaires sans voix dans le 2) s'interposent au même titre que le chant. Les mots deviennent musique là où les figures instrumentales font sens : une manière, nous dit le compositeur, « d'aboutir à une nouvelle diction du contenu poétique ». Acteurs zélés de cette « lecture » jabèsienne, les Neue Vocalsolisten et les musiciens de L'Instant donné, dont on connaît la précision et la virtuosité du jeu, sont ici éblouissants.

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