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Double concert Schubert d’Elisabeth Leonskaja à la Philharmonie de Paris

a consacré à Schubert deux concerts parisiens, où s'est exprimée sa vision toujours aussi personnelle de l'œuvre pour piano du compositeur viennois. En deux soirées, on a pu entendre chacune des deux voix intérieures du compositeur, chantant l'une « l'amour », l'autre « la douleur », selon la confession de Schubert (« Mon Rêve », 1824).

Le premier de ces récitals, davantage centré sur des œuvres lumineuses, montre un Schubert enjoué, proche de l'esthétique intimiste « Biedermeier », célébrant l'idylle privée et un certain plaisir de vivre. Les Trois Klavierstücke, impromptus vifs et mordants, sont rendus de manière incisive, avec une légèreté parfois aérienne et même dansante dans la troisième pièce. fait également redécouvrir le second couplet du deuxième impromptu, rarement joué ayant été biffé de son manuscrit par Schubert, pourtant tout à fait plaisant par ses ruptures de ton caractéristiques.

Dans la Wanderer Fantasie, la pianiste austro-russe donne libre cours à sa puissance d'interprétation, parvenant non à une simple démonstration de virtuosité mais à l'affirmation véhémente d'un élan vital, scandé par le rythme une longue-deux brèves, qui court du premier au dernier mouvement, en passant par les variations de l'Adagio inspiré du lied éponyme. Rien ne semble pouvoir tempérer cette chevauchée, menée dans un mode majeur triomphant.

avait choisi enfin la Sonate « Gasteiner », l'une des plus riantes du catalogue schubertien, dont elle propose une interprétation romantique et rêveuse en faisant de l'énigmatique Adagio la clé de voûte de l'œuvre. En bis, l'Impromptu op. 90 n°3 achève de donner à ce premier concert un cachet de joliesse et d'aimable divertissement.

En abordant les trois dernières sonates de Schubert, le second concert prend nécessairement une tonalité méditative et plus sombre. Composées au cours des derniers mois de la vie du compositeur, après la mort libératrice de son modèle Beethoven, ces œuvres ultimes ont bel et bien des allures de testament. Et c'est justement le recueillement qui prévaut dans le jeu d'Elisabeth Leonskaja. Son interprétation fait apercevoir les regrets de l'existence aussi bien que les quelques instants de douceur encore glanés mais vite estompés. Cet incessant aller-retour entre la certitude de la fin et une pulsion de vie persistante, perceptible dans les Sonates en ut mineur et la majeur (D.958 et D.959), laisse de plus en plus la place à la résignation face au destin dans la Sonate en si bémol majeur (D.960).

Le retour comme bis de l'Allegro assai issu des Trois Klavierstücke, qui ouvrait le premier concert, nous rappelle enfin le miracle de la résurrection promis aux génies immortels.

L'art du contraste et de la transition, qui est l'essence de la musique de Schubert, est chez Elisabeth Leonskaja ce qui impressionne le plus. Ses magnifiques nuances font plus que compenser les quelques approximations ou manques de netteté qu'on a pu regretter par ailleurs. Elle qui n'a cessé de s'affirmer comme une schubertienne de premier plan et n'a plus rien à démontrer, laissait une nouvelle fois avec ce double concert la marque superbe de sa singularité.

Crédit photographique : © Marco Borggreve

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