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Le rayonnement de l’orgue Dom Bédos de Bordeaux sous les doigts de Paul Goussot

Le grand orgue de l'abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux est l'un des plus beaux témoins de l'art des facteurs d'orgue français du XVIIIᵉ siècle. , son titulaire, propose sa mise en valeur au travers d'œuvres baroques européennes et d'éblouissantes improvisations dans le style ancien.

La fin du XXᵉ siècle aura vu la renaissance d'un grand instrument classique français construit au milieu du XVIIIᵉ siècle par le plus grand savant de l'orgue d'alors : François Dom Bédos de Celles. Après une histoire plus que mouvementée depuis sa construction en 1748, il était toujours là, quelque peu meurtri par le temps, mais grâce à une volonté commune et affirmée, Pascal Quoirin fut chargé de lui redonner toutes ses qualités originales. Par ses larges dimensions, cet instrument « retrouvé » est l'un des plus précieux témoins de l'art baroque de la facture d'orgue en France et à même de traduire fidèlement le répertoire qui s'y rapporte.

Depuis 1997, année de l'inauguration de l'orgue, plusieurs parutions discographiques ont vu le jour et chacune a apporté sa pierre, pour mieux connaitre les possibilités incroyables d'un tel instrument. Concernant le présent CD, il est bon de s'attarder pour commencer sur la beauté de la pochette. Il est vrai que le buffet de l'Abbaye Sainte-Croix de Bordeaux avec ses verts et ses ors se prête particulièrement à une décoration harmonieuse, permettant une mise en condition heureuse de l'auditeur. L'ouverture de l'objet et du livret renferment encore d'autre heureuses surprises. Bravo à l'éditeur pour ce travail éditorial des plus remarquables.

Sobrement intitulé « Œuvres d'orgue », le programme est d'une grande richesse, couvrant non seulement l'art baroque français mais plus largement quelques pistes européennes de choix, avant que deux grandes improvisations terminent le disque. , titulaire de cet orgue propose tout d'abord une Suite française issue des Livres d'orgue de , organiste de la nouvelle chapelle royale de Versailles dès 1678. Cet ensemble de pièces servant de versets à l'office divin sont un premier prétexte pour mettre en valeur la riche palette sonore de l'instrument. Plus loin c'est Jean-François Dandrieu et Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier qui alimentent avec force et délicatesse un discours musical en adéquation totale avec les registrations de l'orgue. Les offertoires sur les grands-jeux sont merveilleux, ceux-là même qui impressionnaient tant les auditeurs de l'époque. Dans un jeu d'ombres et de lumières on appréciera la Tierce en taille de Dandrieu qui offre l'ambiance d'un air d'opéra porté par un doux mouvement de balançoire.

Le programme s'élargit encore avec de la musique allemande, montrant combien un instrument classique français peut convenir à de telles œuvres. La Fantaisie et fugue en la mineur BWV 904 de Bach, initialement écrite pour le clavecin trouve ici une place opportune. Le grand plein-jeu se fait entendre dans la Fantaisie, chargé d'accords puissants savamment pétris dans le clavier par qui enchaine une fugue sur des jeux lumineux et agréablement polyphoniques. Avec Telemann, nous avons un exemple de transcription très adaptée à partir d'un Quatuor parisien (TWV 43). Les instruments à archets et la flûte sont remplacés également en quatuor par divers jeux distincts de l'orgue, à l'instar des maitres français tel Louis Marchand. Par magie la musique de transforme, se pare d'autres atours finalement tout aussi convaincants que l'original. Enfin, le programme de pièces écrites se termine avec un Voluntary for double organ d'. Ici l'œuvre originale était prévue pour un orgue de taille modeste construit en deux plans sonores bien distincts répartis chacun sur un clavier. On assiste à ce qui semble être une improvisation du jeune Purcell, emprise de liberté et d'une grande virtuosité.

Pour autant c'est peut-être la dernière partie du disque qui attirera le plus l'attention de l'amateur ou du connaisseur, à la recherche d'inédit et d'impressions agréables. François Dom Bédos de Celles, constructeur de ce monument musical fut aussi l'auteur d'une encyclopédie sur la manière de « faire » : L'art du facteur d'orgues. Dans la dernière partie, un chapitre est consacré aux orgues à cylindre et il fut demandé à Claude Bénigne Balbastre (1724-1799) de composer une Romance dont le titre est : « Je voudrais donner mon cœur ». A partir de ce thème simple en do majeur doublé d'un petit passage en mineur, Paul Goussot improvise une suite de cinq variations à l'image de ce que Mozart avait proposé pour « Ah vous dirai-je maman ». Le style galant se manifeste et les couleurs de l'orgue resplendissent, laissant l'auditeur sous le charme. La conclusion viendra avec une dernière improvisation en forme de Chaconne dans le style de Jean-Philippe Rameau, dont il avait montré la voie dans ses opéras. Débutée sur les jeux de fond profonds et chaleureux, elle se poursuit bientôt sur le grand chœur des anches, en apothéose finale sur cette sonorité emblématique de l'orgue classique française, capable de nous éblouir encore intensément.

L'orgue de Dom Bédos est ici déclamé hautement, en gloire, grâce à ses voix multiples et à l'inspiration débordante de Paul Goussot.

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