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Pour Carte Blanche et la dernière de Compact de Jann Gallois, l’altérité fait danse

a présenté au théâtre Traversière une soirée joyeuse et émouvante, où se jouait le très ludique Carte Blanche et la toute dernière de Compact, spectacle phare de la Compagnie BurnOut.

Deux propositions donc pour cette heure en compagnie de la chorégraphe, artiste associée au Théâtre Paul Eluard de Bezons ainsi qu'au Théâtre du Beauvaisis, Scène nationale de Beauvais et qui fut associée au Théâtre de Chaillot de 2017 à 2021. Dans Carte blanche, les trois interprètes, , et , improvisent à partir de patterns bien maîtrisés. Le public est invité à donner un numéro entre un et huit, renvoyant à une séquence connue de chacune, ainsi que le prénom d'une des danseuses, lui indiquant ainsi la proposition à danser. Les interprètes enchaînent les chorégraphies, les rejouent, se rejoignent à certains moments, probablement l'aspect le plus jouissif de cette prouesse jazzy, maligne et contrôlée. Chaque boucle décrit un rapport à l'autre, mêlant scènes théâtrales ou dansées, pauses et performances physiques. Voilà une improvisation réussie, disposant ses grilles d'accords selon l'envie du public, pour un moment divertissant et grisant.

Compact a d'autres ambitions. Le plateau est vide. À cour, en front de scène, une masse indistincte se meut, évoquant l'insecte de Kafka, forme monstrueuse, qui fascine et qui interroge. Dans une pénombre remarquablement dessinée par Cyril Mulon, les danseurs et , parcourent la scène, emmêlés, imbriqués, incapables de se détacher. La performance est virtuose, la situation absurde et théâtralisée. Des trouvailles circassiennes en passant par la danse et le jeu tragicomique, nous sommes face à toute une histoire de l'art et de la pensée, revendiquée ou non. Entre le cauchemar et le comique, Eugène Labiche n'est pas loin, dramaturge chez qui le rire aide à surmonter l'effroi. Ces corps qui n'arrivent pas à se séparer, renvoient aux interrogations philosophiques les plus lointaines, celles de Parménide en tête, dissertant sur l'unicité des choses et le multiple, pierre de touche de Compact. Question millénaire réactualisée avec intelligence pour notre époque témoin d'un vivre ensemble souvent problématique. En posant la question aporétique du double et de l'unique, Jann Gallois touche avec grâce à l'essence de notre humanité sans oublier d'ancrer ses réflexions dans notre vie contemporaine.

Dans Carte Blanche et Compact, les corps sont disjoints, se décomposent et se rejoignent. Les partitions s'imbriquent et se défont, dans la joie ou la tension. Jann Gallois explore les questions du commun, de ces cohabitations fragiles, empreintes de formes corporelles fluides et disloquées. Le quotidien tutoie le sacré, dans une réalisation singulière, signes d'une dramaturgie complexe et jubilatoire. Jann Gallois nous prévient, la voix pleine d'émotion, qu'il s'agissait ici de la dernière de Compact. Mais de cette pièce éprouvée à Carte Blanche, les interrogations sont communes, le vocabulaire contemporain emprunt de hip-hop subsiste, donnant toujours envie de suivre la talentueuse chorégraphe sur les voies de l'altérité.

Crédits photographiques : © Laurent Philippe – Anne-Sylvie Bonnet

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