- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Pianos festifs à Lille

Dans les salles comme en plein air, les claviers ont résonné durant les trois jours d'effervescence sonore du , du clavecin au clavier numérique, du Pleyel de concert 1905 au Steinway moderne en passant par le piano ambulant qui sillonne les rues de la ville.

C'est un extrait de leur disque paru l'année dernière chez La Dolce Volta que nous rejoue le duo et dans l'écrin de l'Auditorium du Conservatoire en fin de matinée. Les pianos sont bien réglés et le programme est 100 % américain, qui débute par la musique caressante et aérienne de Meredith Monk. Ellis Island est un bijou de trois minutes à peine qu'ils font tourner avec une délicatesse et une sensibilité très fusionnelle. Ils tissent une même toile sonore dans Four Movements de Philip Glass, une musique certes plus musclée et jubilatoire dont les deux interprètes en parfaite synergie font rayonner les couleurs avec un élan communicatif. Le son est charnu et l'émotion présente dans West Side Story (transcription de John Musto) qui termine ce récital d'une petite heure. claque des doigts mais ne donne pas de la voix dans le célèbre Mambo qui prend une dimension orchestrale sous le geste ample des deux pianistes. Ils sont à quatre mains, avec un même toucher et une énergie commune, dans un des célèbres Morceaux en forme de poire de l'iconoclaste Erik Satie qu'ils donnent en bis avant de reprendre la musique de Philip Glass dans une plénitude virtuose.

accueille les lauréats du Concours international de piano d'Orléans. Après Mikhaïl Bouzine, c'est , premier Prix 2022, qui est en concert dans l'Auditorium de la Gare Saint-Sauveur. Il aborde le Premier cahier des Images pour piano de Claude Debussy avec une maturité qui impressionne (il n'a que vingt-neuf ans). Le geste est souple et le toucher aussi sensible que lumineux dans Reflets dans l'eau. La phrase est bien conduite et l'intelligence du texte à l'œuvre dans Hommage à Rameau tandis que Mouvement file sous ses doigts avec un naturel qui subjugue. Le jeune pianiste a mis à son programme deux Études très récentes, Réseaux et Dérèglements, de Philippe Manoury dont on fête cette années les 70 ans ; ce sont deux pièces superbes dont il révèle l'envergure de l'exploration sonore (via la pédale tonale du piano) et la luxuriance du timbre à travers la richesse des accords complexes.

Le deuxième cahier d'Iberia d'Albéniz (le premier était donné la veille par Benjamin Grosvenor) qui termine le récital est à son répertoire, qu'il a travaillé avec Alicia de Larrocha et joue par cœur. L'œuvre s'inscrit dans la thématique de cette 29ᵉ édition fêtant Bartók, et les « Espagnes ». Les lignes chantent sous ses doigts dans Rondeña dont il avive les couleurs et le phrasé incisif. Le jeu est sans exubérance mais dans la volupté du son (rondeur des basses et lumière des aigus) dans Almeria quand l'élégance des tournures mélodiques et le relief des nervures rythmiques confèrent le charme et l'authenticité de Triana. Une grande tendresse s'exprime enfin dans la berceuse de Brahms qu'il donne en bis, évoquant le souvenir de Nicholas Angelich dans le sillage duquel semble s'inscrire cet artiste étonnant.

Délaissant pour un temps l'accord tempéré du piano, Diálogo nous fait pénétrer dans l'univers des musiques du monde et de tradition orale. C'est un projet original qui file la thématique de l'exil, où se croisent plusieurs traditions, celle du Rebetiko (d'origine grecque), du Flamenco (porté par la communauté gitane) et du monde arabe (ville d'Alep), emmené par le violoniste gantois Wouter Vandenabeele. On y entend le chant et la guitare flamenco, défendus par Carmen Fernandez et Alexander Gavilan, expression d'un « duende » qui contraste radicalement avec le répertoire de Katerina Douka qu'accompagnent l'oud de Tarek Al Sayed et la percussion de François Taillefer. Discret dans sa participation, le qanûn d'Osama Abdulrasol, comme chacun des instruments de l'ensemble, est mis en vedette dans l'un des morceaux du programme. Quant au violoniste, dont l'intervention soliste relève plus clairement de la pratique du jazz, il parcourt les styles et les répertoires à travers une improvisation libre rejoignant l'une et l'autre des traditions.

Un piano « grand concert Pleyel » n° 1 de 1905 est installé sur le plateau de l'Auditorium du Nouveau Siècle pour la soirée de clôture du festival invitant en soliste au côté de l' et son chef . Au programme, la musique de César Franck, dont on fête le bicentenaire de la naissance, et celle de Claude Debussy, entendues sur des instruments français de la fin du XIXe siècle.

Dans Les Djinns (1884) et les Variations symphoniques (1885), œuvres peu jouées qui reviennent sur les pupitres pour l'occasion, César Franck cherche à renouveler le genre concertant. Les Djinns sont un poème symphonique avec piano, s'appuyant sur un extrait des Orientales de Victor Hugo, et les Variations symphoniques, se rattachant au concerto, regardent quant à elles vers la musique à programme. Le motif sombre et farouche, presque wagnérien, qui débute Les Djinns, ne laisse guère de latitude au piano. On ne l'entendra véritablement que dans l'épisode expressif central, dans son registre clair et bien timbré sous les doigts du pianiste. Il nous fait tendre l'oreille vers ce bel instrument qui peine à concurrencer les salves de cuivres. Il est beaucoup plus présent, irradiant même sous le toucher perlé de , dans les Variations symphoniques menées avec la même énergie par qui va chercher le son et les articulations au sein de chaque pupitre.

Le chef rejoint les rangs de ses instrumentistes pour écouter le bis du pianiste, La fille aux cheveux de lin (extrait du premier Livre des Préludes de Debussy) dont la souple arabesque ne pouvait mieux annoncer La Mer, trois esquisses symphoniques du même Debussy données en deuxième partie de Concert.

L'œuvre au répertoire des Siècles est une splendeur sous la direction de qui en détaille toutes les finesses du mouvement, l'énergie du timbre et l'extraordinaire fluidité d'une orchestration dont rien ne lui échappe. On respire l'air du large dans De l'aube à midi sur la mer, où la vague vient vous frapper au visage dans les dernières pages du mouvement. Jeu de vagues, avec ses trois cornets, nous met au cœur de la matière orchestrale, dans la complexité des rythmes et le relais des couleurs que l'orchestre exécute en virtuose. L'amplitude des dynamiques impressionne enfin dans Dialogue du vent et de la mer dont François-Xavier Roth accuse le climat dramatique (râle des contrebasses et timbales qui claquent) au sein d'un orchestre où semble se rejouer le destin tragique de Mélisande, un opéra entendu l'année dernière à Lille avec Les Siècles dans la fosse.

Crédit photographique : © Nouveau Siècle ; Les Siècles © Uno Ponte/ONL

Lire aussi :

Un copieux samedi au Lille Piano(s) Festival


Tous nos articles du Lille Piano(s) Festival

(Visited 601 times, 1 visits today)