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La troisième quête arthurienne de Paul McCreesh à Beaune

Pour fêter ses 40 ans d'existence, le Festival international d'opéra baroque et romantique de Beaune réinvite quelques chefs qui ont fait leurs débuts in loco à créer une nouvelle production lyrique ou bien à reprendre un de leurs plus grands succès. Troisième tour de piste pour le très original King Arthur de .

1978 est une date de première importance dans l'histoire du semi-opéra d'. C'est l'année où Ariane Mnouchkine apprit l'Air du Froid aux cinéphiles via le dernier souffle de son Molière, et, dans la foulée, la géniale partition du Roi Arthur dont l'unique enregistrement (Anthony Lewis chez Oiseau-Lyre) se dénichait au-delà du Channel. C'était juste avant l'avènement, en 1979, de la version Deller. Un travail de pionniers parachevé, en 1981, par la popularité de Cold Song, qui permit à Klaus Nomi, le « contre-ténor électrifié » (ainsi que le définit joliment Vincent Borel) de caracoler aux sommets des hit-parades en compagnie de l'Orpheus Britannicus. Enfin, en 1985 et 1990, en autre Orpheus Britannicus, Michael Nyman développa le génie de ces deux minutes de musique dans les chefs-d'oeuvres de Peter Greenaway : Z.O.O. et Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant. C'est d'ailleurs de l'allant implacable de ce dernier que se rapproche le geste de .

Le chef du Gabrieli Consort and Players a tellement pensé son King Arthur qu'il dirige par cœur une vision qui a tout d'une quête arthurienne (2015… 2019…) aboutissant en 2022 à un voyage ménageant quelques surprises de taille qu'une petite note d'intention dans le programme eût été bien inspirée d'éclairer. nous y aurait fait part de ses sentiments mitigés relatifs à l'état incertain de la partition telle qu'on la connaît, de sa circonspection face à un finale à la paternité contestable. Avec la complicité de Christopher Suckling (basse de violon), il a donc fait précéder chaque acte de quelques danses issues de musiques de scènes (Amphitryon,…): si cela surprend à l'Acte I d'un Roi Arthur qui commence par des notes inédites en cet endroit qui possède déjà sa propre Ouverture, cela paraît plus justifié pour le bref Acte IV ouvert à froid avec le Two Daughters des Néréides. Une démarche originale aboutissant à un final triomphant (emprunté, toiletté de nouvelles paroles, au Sound Fame de Doclesian) qui donne toute sa place à une merveilleuse équipe de chanteurs apparus au premier plan à la queue leu-leu sur l'inaugural Woden, first to thee, et sur lesquels la lumière aura été braquée toute la soirée.

King Arthur c'est un peu Naissance d'une nation. De l'édification de la Fière Albion (déclinée sur cinq heures d'horloges par les vers patriotiques de John Dryden), les complices Niquet/Benizio ont su s'affranchir avec brio en se concentrant sur le concentré d'esprit anglais des cent minutes de Purcell. Sans mise en scène, mais armée d'un redoutable pouvoir de séduction, entre guinde et humour so british, la brochette hyper-mobile des neuf chanteurs réunis à Beaune n'est pas loin d'atteindre les mêmes cimes. McCreesh leur laisse (presque) la vedette, pas moins savoureux dans son auto-relégation à l'arrière-plan en statue du Commandeur démangée par l'envie d'en être. Le regard de l'auditeur glisse, ébahi, d'un soliste à l'autre, qu'il chante ou semble au repos. Trois fines sopranos aux personnalités distinctes et complémentaires : l'altière , la piquante Lauren Lodge Campbell, l'évanescente Mhairi Lawson. Quatre ténors d'une précision extrême : , Tom Castle, (un déchirant How blessed are Shepherds prenant son temps), (ce dernier assurant la partie d'alto dans les passages purement choraux). Et deux basses : , aussi convaincant en amant persuasif qu'en bateleur mettant le feu à l'assistance sur la Song Tune de l'Acte IV devenue, dans la Cour des Hospices, le tube de l'été 2022 ; et le fidèle , geste inventif (désopilant sur Hither this way) et timbre naturel (un What power art thou à peine cerné de noir, idéalement conduit entre bâillement et rêve éveillé). Toutes et tous sont bien évidemment les plus convaincants professeurs d'anglais qui soient.

Grosse frayeur néanmoins lorsqu'après le nouveau final « doclétien », chef et chanteurs quittent le plateau sous les applaudissements sans avoir joué la Chaconne ! Surpris puis réjoui par les rajouts, l'on se prépare à sourciller avec les coupures. Fausse alerte : l'orchestre finit comme il a commencé. Seul au début, seul à la fin, il se met à jouer le joyau conclusif du chef-d'œuvre. Cet ultime pied-de-nez cachait de fait le sincère hommage d'un chef reconnaissant à ses dix-huit merveilleux instrumentistes.

Crédits photographiques: © Festival de Beaune

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