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Les lames affûtées d’Aurélien Gignoux aux Estivales de Musique en Médoc

Fidèle à sa devise depuis sa création en 2003, le festival girondin accueilli pour la première fois dans le domaine du prestigieux Château Léoville-Poyferré, a mis à l'honneur la jeunesse et le talent en invitant le percussionniste récompensé en 2021 aux Victoires de la Musique.


Inédite et heureuse alliance de la musique et d'un grand vin aux Estivales de musique en Médoc, le bouquet de couleurs d'un alliage de claviers – piano, marimba et vibraphone – et les arômes riches et élégants du Château Léoville-Poyferré, Second Grand Cru Classé de l'appellation Saint-Julien, ont été assemblés pour ravir les oreilles et les papilles des mélomanes dans un haut lieu du patrimoine viticole français. Cela fait dix-neuf ans que le festival dirigé par Jacques Hubert et parrainé par Frédéric Lodéon présente d'un château à l'autre, du Haut-Médoc à Pauillac en passant par Margaux, de jeunes musiciens primés aux concours internationaux. Après Jonathan Fournel, Eva Zaicik, Théo Fouchenneret et Gabriel Pidoux, , percussionniste lauréat du fameux ARD de Munich, Révélation soliste instrumental des Victoires de la Musique 2021 et depuis cette même année soliste de l'Ensemble Intercontemporain, a inauguré en compagnie du pianiste Hervé N'Kaoua la belle salle de réception, ancienne salle des vendangeurs qui surplombe le chai à barriques du domaine. 


Seul sur scène, il donne en première partie quatre œuvres dont deux originales pour ses instruments, prêtés ce jour par l'ONBA. La première pièce est un arrangement de sa main pour marimba des Barricades Mystérieuses de : étonnante transposition laissant entendre ses troublantes harmonies et son flux changeant sous ses baguettes feutrées et expressives. Une transcription qui lui a paru plus évidente qu'au piano dont le son est arrêté par les étouffoirs, clavecin et marimba étant selon lui plus proches par leurs résonances. Et pourtant rien ne semble être plus éloigné de la vibration du métal sous les sautereaux que celle ronde et chaleureuse des lames de bois, de l'instrument baroque occidental que celui somme toute très récent aux origines latino-américaines ! Pour , musicien accompli rompu à l'orchestre, formé également au piano et au jazz, « toutes les portes sont ouvertes et les explorations permises  » : « le jeune répertoire du marimba ne demande qu'à être développé. Il nous fait entrer dans des mondes sonores inexplorés », et la transcription est l'un de ses moyens de prédilection. Une autre pièce cette fois pour cordes grattées, celles de la guitare du vénézuélien , Vals Criollo/Natalia, referme la première partie. Raffinée et au rythme souple, elle sonne avec charme de ses accents sud-américains. Encadrées par ces deux pièces, deux œuvres originales de compositeurs contemporains. Merlin, du compositeur américain , est un solo de marimba illustrant deux épisodes du poème d'Edwin Arlington Robinson : Beyond the faint edge of the world qui fait allusion à la fragilité des remparts du château du Roi Arthur, est une pièce sombre, lugubre, aux sonorités souterraines. Time's way, volubile, agitée, figure dans son mouvement la fuite du temps. Sa virtuosité impressionne autant que son atmosphère, et l'œil comme l'oreille est captivé par l'agilité avec laquelle le musicien embrasse de ses gestes les cinq octaves de l'instrument. Attraction pour marimba, vibraphone et bande préenregistrée, du percussionniste et compositeur , associe passages écrits et improvisés de façon presque indiscernable pour l'auditeur. Cette pièce qu'Aurélien Gignoux avait interprétée lors de la cérémonie des Victoires, mêle toutes sortes de références, de sonorités et timbres à consonances occidentale et exotique (voix résonnantes, santur, peaux, cloches enregistrées…) aux sons combinés des deux instruments à lames, colorés de ceux de crotales et bols tibétains. Très rythmique et énergétique, elle laisse peu de place aux moments contemplatifs, et engage le corps entier du musicien dans une « chorégraphie » d'une précision impressionnante, fondée sur des gestes et des appuis parfaitement coordonnés, ressentis dans sa musique. Un art de l'équilibre corporel et sonore qu'il maîtrise comme celui de l'improvisation, part essentielle de son travail quotidien : « je veux renouer avec la tradition de l'improvisation dans l'esprit de celle pratiquée par les grands pianistes concertistes des siècles passés. Chaque jour, je me livre à une improvisation inspirée de la pièce écrite que je m'apprête à travailler ; c'est une façon de nourrir mon travail qui me permet de conserver une fraicheur d'interprétation. » 


Le talent de transcripteur d'Aurélien Gignoux prend une dimension tout à fait inattendue dans les Six Épigraphes antiques de , jouées à quatre mains, mais cette fois deux au piano, celles d'Hervé N'Kaoua, et deux à la percussion. Une création au festival, qui laisse admiratif, tant par le judicieux travail de réorchestration de la partition, que par l'interprétation toute en subtilité des deux musiciens et l'univers sonore produit. Un mélange de timbres parfaitement réussi, entre les résonances claires du piano et du vibraphone, et celles plus rondes et mates du marimba, avec des effets de gamelan (Pour que la nuit soit propice), de harpe nimbés de mystère sous le léger tintement des crotales (Pour la Danseuse aux crotales), de mélisme orientaux au piano (Pour l'Égyptienne), de clapotis au marimba (Pour remercier la pluie au matin). Au pianiste d'avoir ensuite son intermède solo, avec Quejas, o la Maja y el Ruiseñor des Goyescas d', joué comme une improvisation où l'abandon le dispute au lyrisme. Elle introduit une suite hispanisante avec Piazonore pour vibraphone et piano du jeune compositeur et percussionniste . Clairement inspirée du Libertango de Piazzolla, elle dérive au fil des notes comme s'il s'agissait d'une improvisation, au rythme de plus en plus serré et prenant, instaurant une chaude ambiance avant deux extraits de l'Amour Sorcier de (autre transcription en création): la Danse de la frayeur suivie en bis de la Danse rituelle du feu. Aurélien Gignoux jongle alors avec une aisance confondante entre ses deux claviers disposés à 90 degrés. Le public est conquis par le musicien, sa façon simple de parler de sa musique, son élégance, sa classe, sa faculté à dessiner avec ses lames affûtées les courbes mélodiques comme s'il avait, par exemple, un hautbois ou une flûte. On quitte la salle à la très bonne acoustique pour la terrasse attenante dorée du coucher de soleil, où la famille Cuvelier a préparé pour ses hôtes mélomanes une dégustation de ses grands crus. Harmonie parfaite…

Crédits photographiques : photo de Une © Jacques Hubert ; autres photos © Jany Campello

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