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Le clavecin au festival de La Roque d’Anthéron

Deux étés durant, les cigales ont été les seules à faire vibrer l'air du vénérable cloître cistercien. Mais cette année, c'est le retour des concerts. Pendant une semaine, la musique baroque investit à nouveau l'abbaye de Silvacane pour une belle programmation autour du clavecin.

C'est le claveciniste espagnol qui ouvre les réjouissances de ce « festival dans le festival ». Ce grand spécialiste du Padre Soler (auquel il a déjà consacré deux enregistrements) nous propose ici une série de douze de ses sonates classées par paires d'une même tonalité, comme chez Scarlatti, son maître. Celui que l'on surnommait à son époque « le diable habillé en moine » à cause de son goût pour la virtuosité partage de nombreux points communs avec son brillant aîné, en particulier dans l'utilisation des effets spectaculaires de croisement des mains, de notes répétées ou de gammes en fusées. Mais chez Antonio Soler, on sent déjà poindre le style galant. En grand connaisseur de son sujet (à noter qu'il joue tout son récital par cœur), gratifie le public de commentaires bienvenus et souvent humoristiques, tout au long du programme. Ainsi, pour la Sonate n°8 en fa dièse majeur, il explique qu'il a choisi de respecter la rythmique originale (sans les triolets) pour une version plus dogmatique mais moins pittoresque. Et pour la Sonate n°10 en ré mineur, riche en redoutables croisements de mains, il applique les doigtés originaux qui rendent la main gauche baladeuse jusqu'à l'aigu du clavier, ajoutant avec humour qu'il faut « avoir la foi » pour se lancer dans des traits aussi périlleux! Le jeu de l'interprète est en effet particulièrement spectaculaire, avec des doigts arachnéens qui articulent de haut, mais cette digitalisation étonnante ne nuit en rien à la sonorité et fait véritablement « ronfler » les basses du clavecin italien de Philippe Humeau. nous dit qu'il reste encore beaucoup de sonates de Soler à découvrir, et offrira deux de ces sonates inédites en bis après un premier rappel où il improvise un joyeux mélange entre une Musette de Rameau et l'hymne de St Jacques pour rappeler la cornemuse de Galice, sa patrie d'origine. Un récital haut en couleurs, offert par un interprète au contact spontané et chaleureux.

Cinq jours plus tard, changement complet d'atmosphère. C'est au tour d'un des chefs de file de l'école française de clavecin de rejoindre les voûtes du cloître de Silvacane : est un invité régulier du festival de La Roque d'Anthéron. Il propose ce soir-là un programme « Hommage à  » à l'occasion des dix ans de sa disparition. Des œuvres que le maître d'Amsterdam a aimées et, surtout, des transcriptions de pièces de Bach pour violon, violoncelle ou luth que Leonhardt a réalisées dans les années 1970 et qui ont été récemment publiées par Siebe Henstra. préfère dire arrangements plutôt que transcriptions, pour souligner le côté naturel de la démarche, comme Bach lui-même arrangeait pour clavier les œuvres orchestrales de ses contemporains. En digne héritier de dont il fut l'élève à Amsterdam, fait montre d'une certaine raideur dans les premières pièces du programme : un petit prélude manualiter pour l'orgue puis le triptyque Prélude, fugue et allegro pour clavecin-luth. Mais dès l'allegro à l'italienne, l'interprète semble se libérer, et c'est avec une sensibilité plus extravertie qu'il aborde une Suite en ré mineur construite à partir d'une Ouverture pour violoncelle seul, suivie de danses pour violon ou clavecin-luth. Juste avant, il avait glissé dans le programme trois pièces de musique française : un Prélude non-mesuré de Louis Couperin et deux pièces de François Couperin, dédiant particulièrement Les vieux seigneurs à la mémoire de G. Leonhardt. Arrive en deuxième partie la grande Partita pour violon BWV 1004 dans l'arrangement pour clavecin de Leonhardt, qui se termine en apothéose par la monumentale Chaconne de près de quinze minutes. Pierre Hantaï rappelle que cette œuvre, qui a fait l'objet de tellement de transcriptions depuis celle de Brahms, est un sommet de l'écriture symbolique de Bach, avec des citations musicales du nom de Maria-Barbara et pas moins de onze chorals funèbres en thèmes cachés. Ecrite par le Cantor à l'occasion de la mort de sa première épouse, cette pièce d'une rare virtuosité est un véritable Tombeau pour Maria-Barbara, auquel l'interprétation habitée de Pierre Hantaï rend toute sa sensibilité douloureuse. Pour nous introduire à ce monde empreint d'une foi sereine, l'interprète avait fait précéder la Partita d'un choral orné pour l'orgue, Wer nur den lieben Gott lässt walten. En bis, Pierre Hantaï restait dans l'esprit du Tombeau avec l'arrangement d'une pièce pour violoncelle seul que jouait souvent lui-même en bis, et où l'on entend à la basse sonner les cloches du glas; on ne peut s'empêcher d'y voir un hommage discret àMarie Leonhardt, l'épouse du Maître, qui nous a quittés il y a quelques jours seulement.

Crédits photographiques: © Valentine Chauvin (Diego Ares); Christian Glaenzer (Pierre Hantaï)

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