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András Schiff à Salzbourg, concert intime pour grand public

Dans le répertoire qu'il aime plus que tout, Schiff fait merveille sans jamais en faire trop.

Remplacé par Yuja Wang pour un récital quelques jours plus tôt, Evgeny Kissin souffre toujours du bras gauche, et son partenaire de quatre mains doit assurer seul le concert qu'ils devaient donner à Salzbourg. Dommage pour le répertoire toujours plus rare qu'ils avaient prévu d'interpréter, mais en cette fin d'après-midi d'été, le public a eu droit à un grand moment de musique, digne de l'occasion. Schiff le dit dès le début du concert : la vie est trop courte pour la mauvaise musique, il ne propose donc au public que le meilleur, en un programme qu'il annonce et présente au fur et à mesure de ce concert fleuve.

Et tout commence par le bis : sur son fidèle Bösendorfer, d'un rouge flamboyant, Schiff commence le concert par l'Aria des Variations Goldberg, qu'il présente ensuite comme un bis anticipé. Le vrai début du concert est la cinquième Suite française de Bach : l'Allemande fait merveille par la légèreté de la main droite, contrairement à une Courante un peu trop pressée, mais les danses finales séduisent par leurs carrures franches, véritablement dansantes en même temps que terriennes. Pour souligner la continuité avec les générations suivantes, Schiff enchaîne avec la courte gigue composée en 1789 par Mozart en hommage direct à Bach, puis il revient dans le temps, vers Haydn, avec sa 33e sonate, pleine de l'esprit aventureux du Sturm und Drang. Le choix du Bösendorfer est ici particulièrement bienvenu : favorisant la clarté des lignes et détachant les notes au profit de la lisibilité, il donne à l'interprétation de Schiff un brillant qui impressionne. Rien de banal dans ce Haydn-là, dont Schiff souligne à raison qu'il est le plus sous-estimé des grands compositeurs.

Un nouveau saut dans le temps nous précipite un demi-siècle plus tard, avec les Bagatelles op. 126 de Beethoven, chef-d'œuvre trop rare au concert : Schiff en souligne à la fois l'inventivité et l'équilibre, n'exagérant pas les ruptures, ne banalisant pas les moments plus mélancoliques.

Enfin, l'avant-dernière sonate de Schubert, précédée par le Rondo KV. 511 de Mozart, vient clore ce long concert. Les affinités de Schiff avec Schubert ont trouvé beaucoup d'occasions de se faire entendre, au concert comme au disque ; c'est peut-être par sa maîtrise du temps schubertien, de cet étirement du temps musical qui va au rythme du Wanderer et des paysages tant intérieurs que naturels qu'il rencontre, que Schiff fait corps avec la partition. Les moments les plus douloureux du mouvement lent n'ont pas besoin d'être explosifs, rien n'est moins théâtre que cette douleur ; les élans hymniques du dernier mouvement sont tout autant intériorisés, mais d'une expressivité naturelle qui fait merveille.

Crédits photographiques : © SF / Marco Borrelli

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