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La ferme de Villefavard accueille le festival du Haut-Limousin

La ferme de Villefavard fête les 20 ans de son réaméagement en lieu de création et accueille le festival du Haut-Limousin où les talents d'aujourd'hui (, , ) et de demain (les jeunes talents de l'ADAMI, les Kapsber'girls) se croisent dans une atmosphère bon enfant, propice à de belles rencontres et découvertes.

La ferme de Villefavard est un lieu singulier, ferme-modèle à la salle conçue par l'architecte Gilles Ebersolt et Albert Yaying Xu, résidence d'artistes, lieu de festivals, d'enregistrements et d'expositions, de création et de diffusion, guinguette d'après-concert… Tout concourt à en faire un lieu de partage détendu.

Les talents de l'ADAMI

L'ADAMI met en lumière chaque année huit jeunes artistes solistes : quatre artistes lyriques et quatre instrumentistes, grâce à son opération Talents Adami Classique. Ces jeunes talents se sont rencontrés ici dans le cadre de la préparation de ce concert, avec une complicité évidente. Les talents se succèdent sur scène, présentant chacun deux morceaux, à chaque fois aux styles et époques très différents pour mieux souligner leurs différentes qualités et leur polyvalence, dégageant parfois des affinités plus ou moins marquées avec tel ou tel répertoire.

La désormais bien installée harpiste éblouit par son jeu raffiné et précis dans la sonate pour harpe de CPE Bach au phrasé impeccable et par la flamboyance du Recuerdos de la Alhambra de Tarrega entre virtuosité et translucidité, emportant l'auditeur dans un voyage mélancolique et suave. Malgré la différence de style, rien de semble résister à l'élégance de son jeu tout en délicatesse.

Le baryton expose un bronze des plus séduisants qui fait des merveilles dans l'air de Tarquinius, extrait de The Rape of Lucretia de Benjamin Britten, offrant un superbe legato et distillant un mélange d'inquiétude et de séduction et de mystère très à propos. Maitrisant bien la prosodie de l'opéra français du XVIIIᵉ siècle, le jeune baryton, malgré sa fréquentation assidue du répertoire baroque, semble cependant un peu moins à l'aise avec l'autorité qu'exige l'air de Thésée extrait de l'Hippolyte et Aricie de Rameau.

La violoniste propose une polonaise brillante d'Henryk Wieniawski pleine de couleurs, aux coups d'archets voluptueux suivie de la virtuosité absolue de la fantaisie en la mineur de Nicola Matteis. Son jeu vif, élégant et précis impressionne et emporte l'adhésion.

Très à l'aise, le ténor prend plaisir à s'adresser à l'auditoire pour contextualiser les extraits qu'il interprète. La démarche est bienvenue et la voix est particulièrement imposante, trop  incontrôlée peut-être pour y concilier la justesse dans un Una furtiva lagrima de Donizetti, un peu privé d'émotion. Mais le ténor se rattrape dans la cavatine de Cinq-Mars de Gounod qui semble beaucoup mieux lui convenir. Sensiblement plus probe et évident, cet air lui permet de déployer un legato parfait, des intentions, des couleurs et une élégance qui touchent à la perfection. Il touche juste et laisse entrevoir de belles promesses dans ce répertoire.

On est frappé par la fluidité et la souplesse du Nocturne de Chopin interprétée par . Le touché délicat confère une grande puissance d'évocation à la répétition du motif de cette pièce. Les poissons d'or de Claude Debussy confirment l'élégance du jeu de l'artiste et l'on admire la limpidité du jeu et des couleurs.

La soprano semble être de la graine des grandes tragédiennes. Son interprétation de l'Armide de Gluck, pleine d'autorité et de présence est stupéfiante. Rien ne lui échappe de la prosodie et des velléités de l'héroïne. Phrasé dynamique, puissance des incantations, conduisent à un moment passionnant de théâtre musical. A l'opposé de cet univers, le doux et intériorisé Ave Maria de Desdémone de l'Otello de Verdi témoigne de la même attention aux mots et de la même émotion.

Au violoncelle, c'est le même engagement de qui stupéfie. Profond, sensuel et parfois sauvage, son jeu est incandescent et nous permet de découvrir des compositeurs peu joués. La mélancolie qui imprègne la partition du compositeur Georgien Sulkan Tsintsadze est ici portée à un très haut niveau avant la virtuosité du scherzo de Julius Klengel qui emporte le public pas seulement par sa frénésie mais aussi par ses respirations et la profondeur des sonorités. Une prestation marquante.

La mezzo-soprano semble partager la même le même engagement théâtral. L'extrait d'Orphée et Eurydice de Gluck expose une belle autorité et une voix ronde, charnue, très séduisante. L'extrait de l'Italienne à Alger de Rossini confirme un sens du jeu de scène incontestable sans délaisser la virtuosité et la pétillance de cette partition.

Tout ce petit monde se retrouve au final pour le Tonight extrait du West Side Story de Bernstein, réjouissant de fraîcheur et de romantisme.

Après le concert, les festivaliers regagnent la cour de la ferme pour se rafraichir et grignoter pendant que les artistes leur offrent un second concert sous les étoiles avec notamment des extraits d'œuvres d'Offenbach et Massenet.

Au cinéma ce soir avec


Charmante soirée que celle proposée par le pianiste cinéphile qui nous propose de réécouter certaines musiques par le prisme des films qui les ont utilisés pour mieux sublimer les images. Charmante, délicieuse, et surtout très émouvante car au-delà du talent de musicien qu'on lui connaît, Jean-Marc Luisada est également un merveilleux conteur. Il nous régale d'anecdotes et de réflexions autour des films qu'il évoque, il nous bouleverse surtout dans son évocation de ses années de scolarité à l'école Yehudi Menuhin, synonyme de séparation de ses parents tant aimés. Il y a dans cet exercice quelque chose de la recherche du temps perdu, mais aussi retrouvé par les réminiscences que la musique peut offrir.

Jean-Marc Luisada est donc allé chercher les musiques de ce programme dans les films qui ont marqué sa vie. Certains sont très connus mais d'autres restent à redécouvrir pour certains. Il les raconte à merveille avec une espièglerie enfantine qui donne instantanément l'envie d'aller au cinéma.

Après une ouverture avec la musique de la Dolce Vita de Nino Rota, Luisada évoque la fantaisie en ré mineur de Mozart jouée au pianoforte par l'actrice Lilian Gish dans Le vent de la plaine de John Huston et dont il livre une interprétation à la fois sombre et délicate.

Seul et malheureux à l'école de Yehudi Menuhin, il reçoit deux lettres par jour de sa mère qui lui raconte les films qu'elle a vu dont Rendez-vous à Bray du réalisateur belge André Delvaux, d'après une nouvelle de Julien Gracq. Sur les images d'Anna Karina et Mathieu Carrière, le pianiste égrenne les Intermezzi de l'opus 117 de Brahms. Du même compositeur, Luisada retient les variations en ré mineur qui inonde les images de Jeanne Moreau et Jean-Marc Bory dans Les amants de Louis Malle. On y admire la rondeur du son, la précision et le lyrisme du phrasé et surtout les contrastes d'atmosphères et ses transitions subtiles.

Puis vint Chopin dont Jean-Marc Luisada souligne l'omniprésence au cinéma avec plus ou moins de bonheur. Il aime la façon dont Bergman s'en sert dans son Cris et Chuchotements histoire douloureuse de deux sœurs et une servante qui veillent une troisième sœur agonisante. Luisada interprète ainsi la mazurka opus 17 n°4 dont il rappelle que dans le film, elle est jouée par la propre femme de Bergman, Käbi Lareteï qui avait fait ses classes avec notamment Alfred Brendel. Après un Chopin « bien utilisé », Luisada passe au « Chopin kitchissime, souvent hollywoodien », comme dans A song to remember de Charles Vidor. Il s'amuse de voir George Sand incarnée par la trop belle Merle Oberon, et surtout Chopin par Cornel Wilde, un culturiste à 100 lieux du vrai Frédéric Chopin. Jean-Marc Luisada nous offre un Chopin incisif et l'on est sidéré par la puissance du son au service d'un jeu dramatique, sommet de romantisme. Beaucoup de couleurs irriguent le Scherzo n° 2 fait de ruptures incessantes, et la virtuosité intériorisée de Jean-Marc Luisada impressionne.

Après un bref entracte, Luisada revient avec Visconti dont on connaît la passion pour la musique. Après l'Elégie de Wagner, morceau encore mystérieux découvert très tardivement et qui fait l'ouverture de Ludwig ou le crépuscule des dieux, il s'attaque à la transcription pour piano qu'Alexandre Tharaud de l'adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler qui illumine le Mort à Venise du maître italien. Cette transcription n'offre pas la même fausse simplicité que la version symphonique et le piano est ici plus virtuose mais Jean-Marc Luisada apporte tout de même les contrastes et les ruptures de ton nécessaires à la naissance de l'émotion devant les images inoubliables de Silvana Mangano, Dirk Bogarde et son Tadzio.

Enfin, Luisada achève son programme avec la version de Gershwin qui mêle la partie piano et la partie orchestre de la Rhapsody in blue, hommage au Manhattan de Woody Allen.

En bis, Luisada revient aux compositeurs de musique de film avec notamment un des derniers morceaux de Nino Rota pour le Casanova de Fellini et la musique de Vladimir Cosma pour le film Diva de Jean-Jacques Beineix, pièce dont il souligne avec une certaine ironie qu' « elle sonne comme du Satie mais en mieux ».

De nombreuses impressions traversent le spectateur et on se dit qu'il se dégage des interventions du maître (musicales et orales), une bonté et une douceur qui mettent le sourire aux lèvres et une larme sur le cœur.

et  : les affinités électives


et sont deux musiciens inséparables qui, au fil des années ont tissé une complicité et une affinité particulière au service de la musique.

Dès les deux merveilleux morceaux de Gabriel Fauré, Après un rêve et Elégie, c'est toute l'élégance des salons proustiens qui émerge. On admire le délicat touché d'Amoyel et la richesse du son du violoncelle de Bertrand qui se confirment dans la Sonate n°1 opus 32 de Saint-Saëns. Le piano s'y fait virtuose et le violoncelle dès les premiers accords expose une noirceur et une richesse de son bienvenues.

La Sonate de Brahms, toute première œuvre pour violoncelle et piano du compositeur est très contrastée, alternant mélodies simples ou plus complexes, grâce et violence. Dès lors, on savoure l'art des transitions de Pascal Amoyel et d'Emmanuelle Bertrand qui passent du fortissimo le plus abrupte aux sons les plus clairs et tendres. L'acoustique exceptionnelle de la grange permet un équilibre parfait entre les deux instruments.

Les deux artistes offre un sublime Wiegenlied de Brahms d'une touchante tendresse.

Les Kapsber'girls ou la découverte d'un répertoire émergent


Le concert du dimanche est l'occasion de découvrir les brunettes ! « Vous avez dit Brunettes ? » est le titre de ce spectacle et d'un disque paru récemment et chroniqué ici. Très rapidement, les Kapsber'girls (en référence à Kapsberger, compositeur qu'elles ont contribué à réhabiliter) nous expliquent que les brunettes sont une forme de chansons populaires à l'époque baroque qui racontent des histoires d'amour de bergers et bergères. Elles annoncent également que ce programme de brunettes sera entrecoupé d'airs sérieux et de chansons à boire. Le fait que les musiciens prennent la parole, expliquent leur démarche, nous parlent de leurs instruments est une réelle plus-value de ce festival où les artistes peuvent sortir de leur réserve et faire montre de pédagogie dans une interaction directe avec le public.

Ces airs nécessitent une vitalité, une énergie et un jeu de scène naturel pour que cela fonctionne. Et cela fonctionne à merveille. Les harmoniques entre les deux voix, très timbrée de la soprano (qui remplace Axelle Verner) et très claire et limpide de la soprano Alice Duport-Percier confèrent beaucoup de fraicheur et d'expressivité à ces chansons qui faisaient les délices de l'aristocratie, fantasmant sur ces pastorales amourettes dont les compositeurs ne sont pas les plus connus du répertoire (Naude, Drouart de Bousset, etc). Quelques airs sérieux permettent à chacune des prestations individuelles qui montrent que sans délaisser l'agilité vocale et les ornements, les deux chanteuses privilégient clairement la justesse de ton et le théâtre au service d'une expression des sentiments simple et efficace.

Dans le dispositif, les deux instrumentistes ont une place primordiale ne serait-ce que par les morceaux purement instrumentaux (notamment superbe chaconne de Sainte Colombe et villanelle de Robert de Visée) mais aussi et surtout parce qu'elles installent un tapis sonore très délicat à ces airs. Garance Boizot joue alternativement de la viole de gambe et d'une basse de violon de taille moyenne tandis qu'Albane Imbs passe d'une guitare baroque à un archiluth, créant ainsi des contrastes entre les airs et des différences de tonalité qui apporte beaucoup de diversité d'écoute malgré l'unité du répertoire.

L'équilibre global entre voix et instruments est à souligner dans la parfaite acoustique de la grange permettant une véritable osmose et une joie communicative. Un groupe à suivre assurément.

Crédits photographiques : ferme de Villefavard © ferme de Villefavard en Limousin ; Accent Tonique

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