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Rêverie et poésie avec le Quatuor Voce

« Vivre le temps d'un éclair qui dure… », ce peut être une des définitions de l'instant, cette fulgurance du présent que cherchent à capter les interprètes de cet album mettant en résonance la musique de et celle d'.

Éminent musicologue et pédagogue recherché, est aussi compositeur, répondant ici à deux commandes du . Écrit en écho à celui de Debussy, son quatuor à cordes Fragments soulevés par le vent – le titre en profile déjà le geste – traduit son rapport sensible à la nature, la fugacité des formes du vent saisies à travers le mouvement et les états du timbre. Dans une temporalité fluctuante, Vif et très fluide, le premier mouvement, articule de courtes séquences (fragments) qui diversifient d'autant les énergies et les modes de jeu, entre faisceaux de lignes balayant les registres et trames plus compactes au grain sombre. La même instabilité est ressentie dans Volatil dont les projections énergétiques de pizzicati pulvérisent la matière dans l'espace quand des mouvements plus retenus en renouvellent les allures et la couleur. De brefs motifs ascendants innervent la texture dans une dernière partie où les sonorités vibratiles aux moirures délicates gagnent les aigus, n'était ce geste plus abrupt de distorsion voire saturation qui crée la surprise au mitan du mouvement. Réactifs aux moindres détours de la ligne et aux fluctuations subtiles de la matière, les Voce captivent notre écoute, donnant à chacun de ces « fragments » son intensité et son éclat singulier.

On tend l'oreille avec le même plaisir à l'écoute du Quatuor de Debussy, abordé avec autorité mais sans forcer le trait, dans la souplesse du flux et le contrôle du son. Le mystère est entretenu tout au long du mouvement lent, conduisant la musique jusqu'au bord du silence (aussi pp que possible, note Debussy à la fin du troisième mouvement). Le caractère inquiet, presque fiévreux qui traverse le dernier mouvement – l'entrée du violoncelle campe d'emblée l'atmosphère – le fait d'autant mieux avancer, maintenant ce caractère d'urgence et la tension de l'écoute jusqu'à la fin : la partition est inscrite au répertoire des Voce, qu'ils possèdent jusqu'à la pointe de leurs archets et dont ils donnent ici une version de référence.

Vingt-deux ans séparent l'unique quatuor à cordes de Debussy de sa Sonate pour flûte, alto et harpe, pièce du dernier Debussy intégrant un projet de six Sonates pour divers instruments dont trois seulement verront le jour : l'alliage de timbres est inédit, dont la formation inspirera par la suite d'autres compositeurs. Dans une modernité qui saisit, Debussy semble anticiper l'action de l'outil électronique, traitant la partie d'alto comme l'ombre portée de la flûte, son écho déformant, sa trace dans l'espace et sa distorsion parfois, l'usage de la sourdine et les modes de jeu (sul ponticello ou sul tasto) aidant. C'est l'impression qui ressort de l'interprétation passionnante des trois interprètes, (flûte), (alto), et (harpe), conférant à la partition une dimension théâtrale qui en sublime l'écriture.

répond à la commande des Voce dans l'arrangement pour quatuor à cordes des Proses lyriques, un recueil de quatre mélodies dont Debussy écrit paroles et musique. Si l'on ne s'extasie guère sur la prose du maître, on est séduit par sa ligne mélodique, entre déclamation et élans lyriques, et la richesse d'une partie instrumentale qui ne fait pas qu'accompagner, possédant sa propre thématique, ses trajectoires singulières s'éployant parfois au-dessus de la voix et ses contrepoints expressifs : autant d'éléments mis en valeur par les cordes des Voce à travers l'écriture ciselée d'Yves Balmer qui offre aux deux premières mélodies, De Rêve et De Grève, un écrin plus chatoyant et plus vibrant encore. Les cordes soutiennent/doublent la voix et portent l'élan dramatique à son climax dans De Fleurs, la mélodie la plus sombre, sans abuser pour autant des trémolos. Elles ramènent les textures claires et un mouvement cinétique dans De Soir, la quatrième mélodie achevant le cycle entre bonheur et nostalgie. La voix de est superbe, homogène et au médium chaud, servant avec aisance et une grande clarté d'élocution la déclamation debussyste au côté d'un quatuor à cordes irréprochable.

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