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Cyprien Katsaris défend la musique grecque du 20e siècle pour piano

La délicieuse petite infidélité de à son propre label Piano 21 nous entraîne à la découverte de trois compositeurs grecs. Trois personnalités qui sans avoir renié leur culture nationale, ont nourri leur écriture des grands courants musicaux de la première moitié du XXe siècle.

De la musique pour piano grecque, on cite en premier, le nom de Mikis Theodorakis – alors même que demeurent méconnus ses symphonies, ballets et opéras – puis celui de Manolis Kalomiris, considéré comme le fondateur d'une identité sonore nationale. N'oublions pas le passionnant Thanos Mikroutsikos dont l'écriture s'inspire autant d'un lyrisme postromantique que, parfois, du minimalisme – son opéra Le Retour d'Hélène est une splendeur – et, enfin, le plus important des compositeurs grecs du 20e siècle : Niklos Skalkottas pour lequel le label Bis Records a accompli un travail exemplaire. L'œuvre de Iannis Xenakis se situe à part, car sa dimension expérimentale et avant-gardiste ne possède pas d'idiome avec la culture de son pays d'origine. Les trois compositeurs que nous découvrons sous les doigts de comblent notre curiosité.

Formé en partie à Paris, notamment auprès d'Honegger, composa cinq symphonies au sein d'un catalogue de plus de deux cents partitions. Composés entre 1938 et 1939, les 24 Préludes évoquent moins un hommage à Chopin qu'à Debussy. La puissance du langage du musicien français se retrouve jusque dans le choix des titres : Le matin près de la mer, Aquarelle, Clair de lune, Miss A.J. Eccentric, Les oiseaux exotiques… Ces pages qui baignent dans l'impressionnisme sont dénuées de “grande” virtuosité et jouent pourtant d'une réelle complexité harmonique. Au fil des préludes, la texture s'épure, faisant songer au dernier Liszt et plus encore au Scriabine de la période intermédiaire, sans les audaces “incendiaires” du musicien russe. De cette musique faussement langoureuse et peu agressive, rarement véloce à l'exception d'une pièce comme L'Amazone, extrait toute la sève, jouant un Bechstein aux timbres dorés et soyeux à la fois.

La subtilité et le lyrisme de l'écriture de Yannis Constantinidis appartiennent à un univers plus chatoyant que celui de Papaïoannou. Il est vrai que les danses que l'on entend font songer aux dissonances funambulesques de certaines pages de Satie, à un folklore recréé à la manière de Bartók, mais aussi à la saveur d'un coloriste de première force, à l'égal d'un Skalkottas. Curieuse personnalité à vrai dire que celle de Constantinidis, qui profita tant de l'influence française – Debussy et plus encore Ravel – mais aussi de la rigueur du contrepoint apprise à Berlin, du néoclassicisme de Stravinsky. Yannis Constantinidis fit partie de cette diaspora grecque qui choisit de travailler en Europe de l'Ouest tout en se tenant prudemment éloigné des avant-gardes. Son écriture est richement ornementée, “piquante” par les dissonances que Katsaris laisse éclore sans jamais forcer les accents ou brusquer les changements de rythmes. Il joue ces pages comme il ferait des Danses espagnoles d'un Granados ou des Mikrokosmos de Bartók, se préservant de tout effet spectaculaire, demeurant dans l'allégresse la plus naturelle qui soit.

Huit parties enchaînées composent la Sonate de Lèvidis, d'une veine toute romantique comme l'indique son titre en allemand. Cette Première Sonate romantique grecque témoigne de l'art d'un musicien qui étudia auprès de Felix Mottl et Richard Strauss, entre autres. Lèvidis prit la nationalité française en 1929. Il était alors reconnu comme un artiste prometteur, le premier à avoir composé un concerto pour Ondes Martenot donné, la même année, à l'Opéra de Paris. Bien antérieure, la Sonate date des années munichoises du compositeur. Achevée en 1908, elle mêle à la fois la technique lisztienne à des harmonies influencées par celles de Brahms. C'est un flot lyrique qui part en tous sens, dans un style compilant rhapsodie et effusion schumanienne à des réminiscences de tango sans que les thèmes soient véritablement reliés entre eux. L'absence de fil conducteur et une conclusion pour le moins abrupte nous laissent assez dubitatif. Cyprien Katsaris défend, avec l'élégance et le panache qu'on lui connaît, cette œuvre qui se situe en-deçà des belles partitions de Papaïoannou et Constantinidis.

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