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Le monde irisé de Kaija Saariaho sous l’archet de Joanna Gutowska

Souvent dédié au compatriote et interprète fidèle Anssi Karttunen, le corpus d'œuvres pour violoncelle de est riche et diversifié. Pour cet album monographique, la violoncelliste polonaise a choisi cinq pièces, avec ou sans électronique, dont elle a pu approfondir l'écriture à travers un ouvrage de thèse achevé en 2020.

Formée par l'intransigeant Paavo Heininen à Helsinki, c'est à Darmstadt, où elle rencontre les tenants de l'école spectrale française, puis à l'Ircam, où elle travaille depuis 1982 – date à laquelle elle s'installe en France – que fixe ses orientations personnelles fondées sur l'écriture très raffinée du timbre et des textures.

Le matériau de Petals (1988) pour violoncelle et électronique est tiré du quatuor à cordes Nymphéa. L'action de l'électronique se confond avec celle de l'archet dans un travail très fin de morphing opéré sur le continuum sonore, du son pur au bruit. C'est le passage d'un état à un autre et les reflets d'une matière irisée que nous fait entendre l'archet précis autant que délicat de la violoncelliste. Spins and Spells ne sollicite pas l'électronique mais la scordatura (modification de l'accord de l'instrument). La pièce écrite en 1996 pour le concours Rostropovitch joue sur l'alternance de deux gestes violoncellistiques modifiant les allures, le grain et l'épaisseur des figures sonores. Ils tendent à s'imbriquer et se confondre au bénéfice des couleurs et des métamorphoses infinies de l'image spectrale. Dans Près, l'électronique met en jeu l'espace et la résonance. La pièce d'envergure en trois mouvements fait appel au logiciel Max/MSP pour la transformation du son en temps réel. Inspirés par la toile By the sea de Gauguin, la compositrice s'intéresse aux formes de la vague, engageant puissance et virtuosité du geste de l'interprète. La partie électronique du III engendre une dimension polyphonique de l'écriture et une palette de couleurs somptueuse relevant de la quête spectrale qui se rejoue obstinément.

Dans Sept Papillons, qu'elle dédie à Anssi Karttunen, joue avec les petites différences, dans la fugacité du mouvement et la qualité vibrante du son en trémolos, bariolages, oscillations, etc. L'archet sensible de fait vivre la matière et en modifie les textures, conférant à chacune des miniatures ses moirures singulières.

Les cinq pièces de Neiges, auxquelles la compositrice donne des titres, sont écrites pour huit violoncelles, huit parties enregistrées par Johanna Gutowska selon la technique du re-recording. La pièce décline cinq états du froid, variation sur le thème de l'hiver (qui a inspiré également Hans Abrahamsen dans Schnee) et sur les textures que peuvent engendrer les cristaux de glace : de la transparence à l'opacité (Nuages de neige), entre scintillement et éclat (Étoile de neige I et II) jusqu'au déferlement de pizzicati (Aiguilles de glace). Fleurs de neige semble être un composé des quatre précédents, dont les sonorités irradiantes rejoignent par instants celles du shō (orgue à bouche japonais).

Investie dans cette quête du timbre et de la nuance différentielle qui réclame tout à la fois sensibilité et finesse du jeu, est souveraine, dévoilant un univers d'une foisonnante richesse dont les sonorités tour à tour soyeuses et hérissées, vibrantes et sensuelles, servent au mieux la vision poétique de la compositrice finlandaise dont on fête cette année les 70 ans.

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