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Concert d’ouverture de l’Orchestre philharmonique de Radio France avec Daniil Trifonov

Rentrée en fanfare d'un Philar en pleine forme, dans un auditorium bien rempli et autour d'un programme varié faisant se côtoyer , , et .

Quatre œuvres programmées ce soir, comme les quatre saisons : le raffinement des couleurs automnales avec Fauré, les tremblements rythmiques d'un hiver rigoureux avec , les promesses du printemps avec Soulage et le rayonnement estival avec . Une succession bien pensée. Démarrage en douceur donc avec et son Caligula, suite pour chœur de femmes et orchestre (1888). Une douceur toute relative étant donné le sujet de cette pièce pour sopranos et orchestre qui débute par une sonnerie de trompettes en coulisse. À l'origine, cette œuvre rare et courte (17 minutes environ) était une musique de scène inspirée du Caligula d'Alexandre Dumas père et conçue pour être jouée seulement au prologue et au cinquième acte de la tragédie. Plus tard, Fauré en fit une suite de concert avec un orchestre plus conséquent, en cinq mouvements : « Fanfares, Marche et Chœurs », « Chœur », « Air de danse », « Mélodrame et Chœur », « Mélodrame et Chœur ». Il y a d'ailleurs une sorte de paradoxe dans la volonté d'évoquer (plus que faire raconter) la mort du conspirateur Lepidus puis celle, tout aussi sanglante, de l'empereur par des voix légères et blanches, effet sans doute de la vision idéalisée de l'Antiquité à l'époque romantique. C'est aussi tout l'art en clair-obscur de Fauré (pour reprendre le titre de la biographie de Jean-Michel Nectoux), qui fait ici se succéder des chants bellicistes sur des rythmes martiaux (« Nous sommes les Heures guerrières / Qui présidons aux durs travaux / Quand Bellone ouvre les barrières / Quand César marche à ses rivaux… ») et des airs plus légers ou plus intimes (autant dire « fauréens »), flirtant avec l'antique (le mode lydien dans l'« air de danse ») ou évoquant l'amour (« L'hiver s'enfuit ; le printemps embaumé / Revient suivi des Amours et de Flore ; / Aime demain qui n'a jamais aimé, / Qui fut amant, demain le soit encore ! »). Les chanteurs de la et l'Orchestre interprètent cette caresse musicale avec beaucoup de tact.

Trois raisons plausibles ont dû présider au choix du Concerto pour piano et orchestre (2020-2021) de . Premièrement, le musicien semble à la mode en France en ce moment, ainsi que tend à le prouver également le volet qui lui était consacré le dimanche 11 septembre sur France Musique au Carrefour de la création : « Les mondes de Mason Bates ». Deuxièmement, ce concert d'ouverture inaugure la résidence de à Radio France. Troisièmement, l'œuvre partage avec la dernière programmée ce soir un lien avec le cinéma. Tout commence bien aux premières mesures, quand l'orchestre déploie une délicate et très riche palette sonore. La transparence est très bien rendue par un orchestre rompu à l'exercice et très bien dirigé. On se dit alors que le compositeur a beaucoup de métier, ce qui ne se démentira d'ailleurs jamais. Le pianiste, sans partition, semble plus que concentré : inspiré. Et son jeu est admirable de précision dans les attaques et les traits rapides. Mais quel est au juste ce « voyage à travers plusieurs époques musicales, chaque mouvement ayant son propre univers sonore », comme le dit le texte du programme, sinon ce qui apparaît plutôt comme une fuite en avant au gré, effectivement, de rythmes variés, mais qui font davantage penser à des exercices de jonglerie qu'à des « univers sonores » ? Certes, la beauté n'est pas absente de cette partition traversée par différentes influences, celte ici, jazz là ; mais si le compositeur se montre un véritable artisan, son propos paraît creux et n'exploite pas toutes les possibilités du piano. Il y a un côté américain très spectaculaire (on veut en mettre plein la vue) de musique de film et de chevauchées dans les grands espaces. Cette création européenne tombe un peu à plat, même si l'on se laisse porter jusqu'au morceau suivant par un orchestre et un pianiste en parfaite symbiose.

Changement radical, après l'entracte, avec trois merveilleux solistes issus du Philar dans Légende pour flûte, hautbois et harpe (1917) de . On sent immédiatement la compositrice de musique de chambre, qui marie étroitement les instruments tout en les laissant s'exprimer pleinement. L'esthétique est bien sûr celle de l'époque qui a précédé les Années folles, avec un raffinement que l'on pourrait qualifier d'oriental. C'est d'ailleurs non pas du côté de l'Orient, mais plus précisément de sa représentation dans l'orientalisme, qu'il faut aller chercher l'origine de ce titre énigmatique : Légende. L'humeur est joyeuse. Les deux vents ( à la flûte et au hautbois) se courent après et s'enroulent voluptueusement dans de languissants chromatismes. Quant à la harpe de , placée au centre du trio, tantôt elle arpège les accords sur lesquels ses comparses prennent leur essor, tantôt elle reprend le thème en écho pour le varier ou repartir sur un autre motif. Impossible de ne pas penser à la Sonate pour flûte, alto et harpe (1915) de Claude Debussy et à sa grande fluidité. L'engagement des trois musiciens est impressionnant.

Retour de l'orchestre sur scène, mais les trompettes à palettes ont remplacé celles à pistons, pour un son plus rond, plus chaud. Ce sont elles qui, sur fond de note pédale à l'orgue, ouvrent par le très fameux crescendo do-sol-do le poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra (1895-1896) de . Électrisé par cette introduction rendue mondialement célèbre par le film de Stanley Kubrick 2001, l'odyssée de l'espace, Mikko Franck s'est levé de son siège pour entamer un véritable corps à corps avec son orchestre tout au long des huit autres parties enchaînées : une partition pour le moins chahutée, avec ses constants changements d'atmosphère, de la plus tendre et intime – on pourrait dire gemütlich – à la plus exaltée. L'œuvre est visiblement connue sur le bout des doigts par l'ensemble et son chef, qui en offrent une lecture aussi limpide que nuancée.

Crédits photographiques : © Radio France – Christophe Abramowitz

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