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André Raison : les derniers feux du Grand Siècle

Le grand orgue de la cathédrale d'Auch résonne des ultimes accents louis-quatorziens sous les doigts inspirés de : le second livre d'orgue d' est ici contextualisé par la présence des chantres.

De Raison, organiste de l'abbaye royale de Sainte-Geneviève du Mont, il ne nous reste que deux livres d'orgue, trop peu joués de nos jours. Le premier, paru en 1688, comporte une intéressante table de registrations qui nous renseigne sur les mélanges de jeux utilisés par les organistes de l'époque. s'en est inspiré pour enregistrer ici une grande partie du Second livre, paru en 1714, sur l'orgue pratiquement contemporain construit par Jean de Joyeyse pour la cathédrale Sainte-Marie d'Auch. Nous sommes ici à la toute fin du règne de Louis XIV qui se termine sombrement, dans un royaume accablé par les guerres et les famines. L'œuvre s'ouvre sur une grande offerte sur le thème de « La paix tant désirée » en plusieurs parties, qui commence par l'antienne Da pacem Domine. Vingt-six ans plus tôt, le Premier livre s'achevait sur une autre grande offerte qui célébrait la guérison du roi sur le thème du « Vive le roy des parisiens », et cette symétrie ne peut que frapper les esprits dans sa façon de célébrer le corps politique du roi et le caractère sacré de la monarchie. La deuxième partie du Second livre comprend dix-huit noëls, composés en variations sur des thèmes populaires selon le goût de l'époque. Ici, a choisi d'en enregistrer quinze, dont certains dialoguent avec les timbres chantés, conformément aux noëls publiés par Ballard en 1703.

Dès l'ouverture, la voix remplace la ligne de basse prévue à la pédale, pour faire entendre le thème du Da pacem Domine. L'œuvre se termine à la manière d'un offertoire sur les grands jeux, où les accords répétés sur le grand clavier implorent la paix, avant un « Vive le roi » final qui dialogue entre petit et grand jeux. Les anches du grand orgue d'Auch y font merveille, magnifiquement timbrées. Les noëls qui suivent sont l'occasion d'entendre des mélanges de jeux plus pittoresques, dans des variations pleines de verve. On apprécie une pointe d'humour dans le « Noël poitevin » et son tambourin improvisé sur le jeu de flageolet, petite flûte champêtre. Dans le duo « Vous qui désirez sans fin », le tremblant ajouté aux jeux d'anches produit des sonorités inhabituelles de trompes de chasse, pour un effet très surprenant. L'interprétation colorée de Jean-Christophe Revel rend parfaitement l'aspect dansant de ces variations, dont le compositeur lui-même dit qu'il faut y distinguer « sarabande, gigue, gavotte, bourrée ». La composition de l'orgue d'Auch (restauré en 1998 par Jean-François Muno) permet de faire entendre une grande variété de couleurs dans ces pièces de caractère très imagées, et on sent que son titulaire se régale à jouer avec toute cette palette sonore.

Un petit regret : rien, sur la pochette du disque, n'indique qu'il s'agit de l'orgue de la cathédrale d'Auch, et il faut se livrer à une véritable enquête dans le texte du livret pour en découvrir une discrète mention… L'intervention des chantres renforce l'aspect narratif de ces scènes de la nativité. Certains timbres sont chantés en monodie accompagnée par la basse continue, comme dans l'édition de Ballard ; d'autres sont arrangés en polyphonie pour trois voix d'hommes par Jean-Pascal Chaigne. Instrumentaux ou vocaux, ces noëls populaires offrent une représentation fraîche et naïve de l'histoire de la nativité, qui contraste avec les derniers fastes d'un règne finissant.

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