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Très beau Liederabend à Strasbourg avec Andrè Schuen

Étoiles montantes dans le ciel déjà bien constellé du Lied, et proposent à Strasbourg, dans la programmation de l'Opéra du Rhin, un programme de Lieder consacré à Schumann, Wolf et Franck Martin.


a une voix magnifique de baryton lyrique faite pour les lieder, Mozart, et l'oratorio. Velouté et sombre, capiteux, moelleux, le timbre est d'une beauté extraordinaire. La voix est longue, le chanteur est capable de nuances délicates, et les phrases sont splendides. Comme il chante dans sa langue d'origine, la diction, qui est parfaite, joue pleinement son rôle de vecteur de poésie. aussi, qui l'accompagne depuis 2008, déploie des splendeurs de phrasé et de couleurs, sans en faire trop, lui non plus. Leur Schöne Müllerin de Schubert chez DGG a fait sensation, et on attend avec impatience leur Schwanengesang. Leur entente, leur cohésion, leur sens de l'équilibre sont parfaits, mais il faut admettre que la perfection technique n'engendre pas toujours l'émotion.

Le Liederkreis op. 24 de Schumann, justement, est un cycle difficile, et c'est sans doute pour cela qu'il est moins chanté et moins connu que le Liedrekreis op. 39. Un homme aime une femme, souffre, mais à part le Rhin dans « Berg'und Burgen » aux ondoiements délicieux, il y a peu de paysages, peu de personnages, peu d'action pour incarner les affects et les climats, et il est difficile de faire sentir l'évolution des sentiments du narrateur central. Schuen et Heide nous font du très beau Lied, très soigné, mais l'envol se fait attendre. Les lignes bougent dans les Lieder isolés de Schumann, et nos artistes atteignent le sublime dans « Mein Wagen rollet langsam », puissamment merveilleux, « Es fiel ein Reif » murmuré piano, et « Du bist wie eine Blume », à faire pleurer les angelots en stuc de l'Opéra du Rhin. Les trois Chants du harpiste de Wolf sont rendus avec une justesse exemplaire : au bout de la mélancolie, par les chemins de la solitude, de la folie ou du remords, mais toujours restant dignes, loin de l'abandon.

C'est dans les Six monologues de Jedermann qu'on attendait les deux artistes avec le plus d'intérêt. Écrits par pendant la Seconde Guerre mondiale, ces mélodies (ou airs ?) mettent en musique de très beaux poèmes de Hofmannstahl (1911), qui décrivent les états d'âme d'un homme ordinaire face à la mort, face à sa vie et ses actions passées. Il est étonnant de constater combien ces poèmes sont fidèles à la description faite ultérieurement par Elisabeth Kubler-Ross sur les étapes de l'acceptation de la mort des personnes en fin de vie : déni, marchandage, dépression, résignation, acceptation. Mais au-delà de ça, c'est la conscience de soi, de sa vie et de son œuvre, de la relation avec Dieu qui est admirable, et admirablement rendue par . Le discophile connait sans doute la version pour orchestre, sobre mais très colorée. La réduction pour piano gagne encore en intensité, en concentrant la tragédie intime de Jedermann (monsieur tout le monde…). Traversant tous ces états de conscience, fait de vraies merveilles, et transpose le drame intime de Jedermann à tout le genre humain. Impressionnant dans la révolte, puis glaçant dans ses effrois, Andrè Schuen rend évidents les progrès du non-héros dans son pèlerinage intérieur. Le retour de la foi dans « Ja ! Ich glaub », puis la prière de « O ewiger Gott » atteignent alors des sommets de grâce et de beauté pures.

Crédit photographique: Guido Werner

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