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Frank Martin bédéiste !

À la manière de Rodolphe Töpffer et ses fameux Voyages en Zigzag, les compositeurs suisses romands et se transforment en écrivains satiriques pendant que leur collègue illustre leurs propos au travers de dessins caricaturaux.

Dans les années 1930, la critique musicale n'était pas très tendre avec la musique contemporaine dont le chef d'orchestre Ernest Ansermet faisait une promotion assidue. En particulier, le musicologue Robert-Aloys Mooser (1876-1969), très grand connaisseur, ne ménageait pas sa sévérité de jugement lorsque certaines œuvres n'avaient pas l'heur de lui plaire. Critique musical (et littéraire) dans le quotidien romand La Suisse, il était redoutable et redouté. Avait-il ses « têtes de turc » ? Difficile de le savoir, mais l'égo de certains compositeurs devait être certainement touché pour qu'en 1935, ils décident d'éditer, d'abord de manière confidentielle, un petit livre qui raconte avec humour et sous la forme de vignettes illustrées une aventure musicale en même temps qu'une charge contre ce critique décidément trop souvent sévère.

Brièvement racontée, c'est l'histoire de six compositeurs qui ouvrent un grand concours de composition. Chacun des six compose une œuvre qu'il va signer du nom du critique musical. Le grand jury délibère et adjuge tous les prix aux six compositions présentées et donc au critique musical. On fête alors l'heureux gagnant et… l'aventure continue avec des rebondissements à découvrir à la lecture de cet ironique petit roman.

L'intérêt de ce Tombeau de Monsieur Basile réside non pas tant dans l'histoire farfelue et comique qu'on y raconte, mais dans le talent littéraire de ces deux compositeurs ( (1890-1974) et Erich Schmidt (1907-2000) et l'immense talent de caricaturiste de cet autre compositeur romand (1901-1992). Tout au long de cet ouvrage, on croise les figures de musiciens qui ont marqué la musique romande du XXᵉ siècle. Outre, les trois auteurs cités plus haut, on rencontre (1887-1980), (1898-1988), (1893-1960), Emile Jaques-Dalcroze (1865-1950).

En outre, cette farce pourrait n'être qu'anecdotique s'il n'existait pas une part de réalité. À la fin de la centaine de pages de cette « bande dessinée », le musicologue , organiste, ondiste et responsable de la Bibliothèque du Conservatoire de Genève, a mis sa passion et ses connaissances inépuisables pour la musique française au service du dépouillement de cet ouvrage pour y rattacher l'histoire réelle cachée derrière cette dérobade littéraire.

En 1950, sous le titre « Le martyre de Sébastien » le compositeur-caricaturiste récidive pour le 25ᵉ anniversaire de l'Association des Organistes Protestants Romands en offrant un nouvel opuscule de vignettes sur des textes du compositeur genevois, (1907-1998). Ici, l'action débute au paradis où les compositeurs se lamentent de la qualité des œuvres interprétées par les séraphins qui les entourent. Dans le cénacle des compositeurs disparus, on reconnait Brahms, Chopin, Debussy, Schubert et Mozart croqués avec talent. Après moult conciliabules et disputes, sous l'impulsion de Dieu le Père, il est décidé de renvoyer sur Terre, Jean Sébastien Bach dont c'est le 200ᵉ anniversaire de la mort, pour qu'il constate l'état de la musique actuelle. C'est le martyre que va subir le mythique compositeur. Bien évidemment, on pense immédiatement au « Martyre de Saint-Sébastien » de Claude Debussy que Reichel et Schmidt s'arrogent pour ériger leur conte illustré. Comme dans la précédente bande dessinée, offre son regard érudit pour nous faire découvrir les moindres petits recoins de cette amusante histoire.

En définitive, ces quelques deux cents pages de dessins caricaturaux sont comme un baume bienfaisant distillé avec un humour chargé de la finesse parfois désuète qu'on pouvait appliquer à la musique classique, si souvent qualifiée de trop sérieuse, au siècle dernier.

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