- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Le nouveau storytelling de Philip Venables

Le compositeur britannique revient sur la scène du Festival d'Automne avec Answer Machine Tape, 1987, une nouvelle proposition accueillie par le Théâtre de la Ville – Espace Cardin qui prolonge le portrait que lui a consacré le festival dans sa dernière édition.

Petit format de quarante-cinq minutes, Answer Machine Tape, 1987 engage une nouvelle collaboration avec le dramaturge et compagnon fidèle et réactive le désir partagé de raconter « des histoires personnelles queer » : celle de l'artiste américain David Wojnarowicz (1954-1992), peintre, photographe, écrivain, réalisateur, performeur et activiste homosexuel appartenant au mouvement artistique de l'East Village, qui est mort du sida à 38 ans.

Le dispositif est simple et l'économie de rigueur, avec, sur le plateau, un pianiste, , et son Steinway de concert ainsi qu'un grand écran en fond de scène. Une connexion savante s'établit entre les touches du piano et le flux des mots qui apparaissent sur la toile, donnant à l'instrument les fonctions d'une machine à écrire. Les deux artistes ont travaillé avec le KeyScanner de l'Augmented Instrument Laboratory via le programmateur , déjà sollicité dans les deux opéras du compositeur, 4.48 Psychosis et Denis & Katia, révélés dernièrement au public français.

Le « storytelling » repose sur la diffusion des enregistrements du répondeur de David Wojnarowicz couvrant la période du 4 novembre au 1er décembre 1987, autant de messages diffusés sur les haut-parleurs, de son galeriste, de ses amis, collaborateurs, partenaires (George, Anita, Richard, etc.) et autant de registres, de grains de voix et de tons (le premier message est chantonné) qui constituent la strate sonore et dramaturgique principale : on s'inquiète, on le questionne, on le cherche, on lui donne des rendez-vous, on parle d'hôpital ; la voix n'est jamais neutre, ni légère d'ailleurs ; un message tourne en boucle, à peine audible, un appel à l'aide… Les propos se recoupent et l'histoire se trame progressivement ; c'est le pianiste, en appuyant sur une touche aiguë du clavier, qui déclenche le signal de chaque nouveau message dont la périodicité tend à se resserrer.

Les surtitres s'affichent sur le haut de l'écran car il est important que l'on capte le sens du discours, la qualité de la bande et l'accent américain ne facilitant pas la compréhension de la parole. Quant à la partie de piano, qui s'inscrit en contrepoint de la voix, toujours très audible et participant pleinement au montage sonore, elle est une autre strate sonore qui résonne en second plan et prend parfois le dessus. En vertu du logiciel d'intelligence artificielle, elle interagit avec les inscriptions qui apparaissent au bas de l'écran, mots prélevés sur les messages, lettres dansantes (sur un rythme à trois temps !), jeu de typographie, touches d'humour chères à Venables mettant le pathos à distance. Le jeu du pianiste s'emballe parfois, entrainant avec lui un tsunami de mots répétés, état d'urgence et bouffées d'angoisse que l'on reçoit littéralement en pleine figure.

Au jour du 26 novembre 1987, date à laquelle le photographe Peter Hujar, ami et ancien amant de David, meurt du sida, le ton change. Les messages affluent, de soutien, de réconfort, de tendresse ; on s'excuse de ne pas pouvoir venir à l'enterrement. Mais le piano-machine reste sans mots ; fait sonner son Steinway de concert dans les graves, sur une trame de notes descendantes et une polyphonie flottante, tel un lamento. À la limite du supportable, s'obstine dans l'aigu ce signal aigre et distordu qui perce le silence et vrille l'âme…

Dans Answer Machine Tape, 1987 comme dans tous les spectacles de Venables/Huffman l'efficacité du dispositif le dispute à la force de proposition et la musique tressée avec les mots acquiert une dimension émotionnelle toute singulière.

Crédit photographique : © Festival d'Automne

(Visited 267 times, 1 visits today)