- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Vladimir Jurowski fête la Saint-Sylvestre avec un Beethoven politique et réflexif

Une création et une direction partagée avec la cheffe ukrainienne Natalia Ponomarchuk : Jurowski ne laisse pas l'esprit des fêtes tourner à la routine.


La Neuvième Symphonie de Beethoven fait partie des programmes de Nouvel an en Allemagne avec autant de constance que la musique légère – le Philharmonique de Berlin choisit des programmes plus divers, cette année sous la forme pas très originale d'un concert d'airs d'opéra par Jonas Kaufmann et Kirill Petrenko, mais le Staatsoper en fait l'occasion du retour sur les podiums de son directeur musical Daniel Barenboim, après de longs mois difficiles. Le Rundfunk-Sinfonieorchester, lui aussi, cède à la tradition, mais pas sans la repenser. Non seulement le concert commence par une création conçue comme prologue, mais a choisi de partager la scène avec une collègue ukrainienne, Natalia Ponomarchuk, artiste expérimentée mais dont la carrière n'aurait pas forcément passé la frontière de son pays sans la criminelle invasion russe – ce qui n'est pas un jugement de valeur.

La création est l'œuvre de , compositeur né en 1950 en RDA, qui ne fait aujourd'hui guère les grands titres de la presse musicale en France comme en Allemagne. Aux côtés d'un grand orchestre qui reprend l'instrumentation beethovénienne avec quelques extensions (un contrebasson, des percussions en nombre), ce prologue passe par la voix d'une mezzo, , qui incarne un habile texte de la poétesse Kerstin Hensel, riche d'allusions mythologiques qui émanent du même répertoire culturel que celui de Schiller – le premier vers, Uns das Feuer der Götter? (À nous le feu des dieux ?) fait penser à Prométhée, mais on ne peut oublier que le feu des Dieux est parfois aussi destructeur. On n'attendait certes pas de cette occasion un langage musical nouveau, mais l'œuvre est constamment intéressante, variée et bien écrite : ce prologue dont la création a été décalée de deux ans pour cause de Covid est bien digne de ce qui suit.

Après avoir dirigé cette pièce, Jurowski prend le micro pour expliquer la suite du concert, cette symphonie dont il ne dirige que les deux premiers mouvements avant de passer la baguette à sa collègue, en soulignant la pesante tradition qui pèse sur l'œuvre, si constamment instrumentalisée par les totalitarismes concurrents qu'il n'est pas facile de la sortir de cette monumentalité, a fortiori dans un concert de ce genre où l'occasion (la Saint-Sylvestre) peut sembler primer sur le contenu. Cela tombe bien, la direction de Jurowski est tout sauf monumentale, loin du grand style marmoréen de la tradition. Sans jamais tomber dans le pathos, il montre dès le début du premier mouvement que le temps des combats n'est pas fini et que l'esprit de l'Eroica vit toujours. Le tempo est généralement rapide, mais il n'est jamais pressé, parce que Jurowski suit une nécessité organique sans chercher les effets.


La direction de Natalia Ponomarchuk est porteuse d'émotion ne serait-ce que par les circonstances, mais parler de musique est la meilleure manière de l'honorer ; elle suscite certes des réserves, en particulier par une dynamique un peu trop percussive qui amène la fin de l'œuvre très près du pompier, mais au moins sa direction va dans le même sens que celle de Jurowski pour les mouvements précédents. On regrette surtout le positionnement du chœur, et plus encore des solistes qui peinent à passer l'orchestre et tendent à pousser leur voix de façon disgracieuse : il aurait été bien préférable de les placer devant l'orchestre, même au prix d'une distance excessive avec le chœur placé, lui, dans une tribune au-dessus du fond de scène.

Crédits photographiques : © Peter Meisel

(Visited 608 times, 1 visits today)