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Rassembler les fils de son identité avec Mailles à Chaillot

, artiste en résidence à Chaillot – Théâtre national de la danse, y a présenté sa création Mailles célébrant le retour aux racines, le rassemblement du corps et la multiplicité des identités.


Musicienne, autrice et chorégraphe, la diversité des talents de l'artiste britannico-rwandaise n'a d'égal que la variété des facettes qui composent cette femme singulière. En effet, c'est en tant que compositrice et interprète qu'elle a signé une partie de la bande originale du film Hôtel Rwanda (2004) de Terry George. Elle compte également à son actif un album solo et de nombreuses collaborations chorégraphiques, musicales et poétiques. En 2013, elle décide de fonder la compagnie Kadidi, dont Mailles est la troisième création et qui fut présentée pour la première fois à la Biennale Charleroi Danse en 2020.

Le travail de naît d'abord de ses rencontres, et c'est au fil de plusieurs années que celle-ci a croisé le chemin des cinq artistes qui partagent la scène avec elle. Toutes afrodescendantes, en exil ou issues de la diaspora, elles ont en commun d'être nées au Rwanda, en Éthiopie ou au Burundi et d'avoir dû s'établir dans un autre pays à l'issue d'un voyage choisi pour elles par leurs parents. En les réunissant sur le plateau à l'occasion de cette pièce, la chorégraphe s'attèle à croiser et à tricoter les fils de leurs parcours, pour créer les mailles d'une célébration du retour aux origines.

Le périple commence par une quête d'identité, qui elle-même implique une prise d'espace et de parole. Il est donc tout naturel que la voix et le travail du son aient une place prépondérante dans l'œuvre finale. Les textes écrits dans de multiples langues par les interprètes résonnent puissamment tout au long de la pièce, sous forme de slam ou de chant, tantôt seuls ou en écho les uns avec les autres. Le son des cloches qui ouvrent « la cérémonie » évoque aussi bien le commencement d'un rite, que les voix multiples de ces femmes affirmées pour qui la parole est une arme politique. À cet environnement s'ajoute la composition expérimentale d', qui vient créer du lien entre les différentes sonorités live, tout en signifiant la fracture et la marginalité au moyen de sons distordus et de craquements d'enceintes qui renvoient à la difficulté du processus de réunification de ces destins morcelés.

Durant une heure, les artistes circulent entre les pieds de micros et les quelques vêtements suspendus au bout de plusieurs fils en fond de scène côté cour. À gauche du plateau, elles évoluent tour à tour sur une planche rectangle d'une poignée de mètres carrés, couverte elle aussi de lino noir, délimitant une zone de mise en avant à l'instar d'un zoom de caméra. La création lumière de Christian Dubet vient souligner et mettre en valeur, par un savant choix de teintes et d'ambiances feutrées, l'orange vif, le bleu électrique et le tissu noir à paillettes des nombreux costumes signés par Stéphanie Coudert, couleurs évoquant celles des trous noirs.

Dorothée Munyaneza et ses collaboratrices puisent dans leurs influences chorégraphiques personnelles pour nourrir la signature gestuelle de la pièce. On y retrouve des éléments de la danse contemporaine, de la danse africaine et même du flamenco. De par l'aspect très introspectif de cette proposition, les six interprètes cheminent en parallèle, pour ne se rencontrer qu'à de brèves occasions. Elles forment pourtant un chœur en communion, aussi bien dans les gestes, que dans la parole, que dans les chants. Les bras tracent, caressent, se projettent dans l'espace, tandis que le centre est ancré sur des appuis solides et enracinés. On notera tout particulièrement une séquence de passage au sol riche de sens et d'une grande émotion, mettant en scène l'étreinte ambigüe de l'une des danseuses avec une robe blanche vide de son ou sa porteuse.

Mailles est une pièce aboutie qui reflète la grande maturité et le talent d'une artiste expérimentée. Si le ton et l'esthétique se veulent très solennelles, voire cérébrales, et bien que certaines longueurs viennent appesantir le rythme global de l'œuvre, la chorégraphe parvient tout même à faire transparaître une grande part d'humanité et de poésie qui sait toucher le public en plein cœur.

Crédit photographique : © Leslie Artamonow

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