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Cosí fan tutte d’Opéra Éclaté, un laboratoire de sensualité

Malgré un orchestre réduit à dix musiciens, c'est un Cosí fan tutte de grande qualité, autant vocalement que scéniquement, que nous proposent le chef d'orchestre et le metteur en scène Éric Perez.

Ce n'est pas la première fois que le troisième et dernier volet du triptyque Mozart-Da Ponte bénéficie d'une efficace simplicité, le décor rouge vif de faisant même retrouver l'influence du théâtre de tréteaux exploitée également par la désormais célèbre mise en scène d'Ivan Alexandre, code typique des représentations populaires à succès des foires du XVIIe siècle. De même, la direction d'acteurs est particulièrement riche et rythmée pour faire jaillir la fougue du jeu continuel des sens et du plaisir, et de l'amour libertin de cette jeunesse flamboyante.

Mais ici, la farce n'est pas un jeu de cartes ou un jeu de hasard, elle est au contraire précisément contrôlée par Don Alfonso et Despina qui en tirent les ficelles à chaque instant, évoluant même parfois en hauteur pour observer ce laboratoire de sentiments, « une expérience quasi scientifique » pour le metteur en scène Éric Perez dont les références pour alimenter son approche sont le film d'Ingmar Bergman, Cris et Chuchotements. On en reconnaît les codes couleurs des costumes et du manoir, ou encore les expériences du comportement humain de Don Juan avec Michel Piccoli et du film Mon Oncle d'Amérique d'Alain Resnais.

Pour les deux manipulateurs, le mordant du chant de Marilou Jacquard est égal au pétillant de ses intentions vocales. La mezzo-soprano prend un plaisir évident aux manigances qu'elle met en œuvre, le naturel de son interprétation mêlant autant le rire que la sensualité dans une prestation vocalement sans faille. Le jeu fait également partie intégrante de l'approche d' dans la peau de Don Alfonso. Le baryton-basse est doté d'un timbre chaud et d'une projection plutôt sonore pour un personnage comique, qu'il complète par un cynisme malsain de bon aloi.

Cosí fan tutte est une œuvre sur la faiblesse de la nature humaine plus que sur l'opposition entre les femmes et les hommes. Ici, Don Alfonso et Despina s'attribuent la mission de libérer leurs marionnettes des carcans d'une société moralisatrice que nous connaissons autant que Mozart et Da Ponte. Pour le symbole, mais aussi pour souligner l'érotisme de cette œuvre sur l'amour, les corps sont mis à nus par Despina elle-même, après une tromperie fondée sur le déguisement des prétendants, la protagoniste ayant choisi costumes et accessoires disposés à vue dès le début de la représentation sur des mannequins blancs en plastique de grands magasins.

Les jeunes fiancées sont incarnées par (Fiordiligi) et (Dorabella). Pour la première, c'est son soprano lyrique empreint d'une émotion touchante dans « Per pietà, ben moi, perdona » qui la caractérise. La jeune Fiordiligi bénéficie également d'une ampleur vocale agréable et d'une palette intéressante d'intentions colorées. La rondeur du mezzo d' complète ce duo équilibré, elle aussi passant de sentiments extrêmes dans un naturel enthousiasmant, son chant pouvant encore se révéler sous les traits mozartiens lorsqu'elle chante son aria « È amore un ladroncello ».

Mais dans cette nouvelle production d'Opéra Éclaté, le rire n'est pas oublié, accompli surtout dans la performance de , excellent Ferrando, et , tout aussi facétieux en Guglielmo. Le ténor détient toutes les clés pour chanter Mozart, livrant un chant expressif tout autant que léger, interprétant avec une maîtrise certaine ses deux arias. Quant au baryton, se laisse porter sans anicroche par son compère grâce à une qualité de ligne de chant et une émission solide, complétant ainsi une distribution agréablement homogène.

En faisant le choix de remplacer les récitatifs secco par des dialogues en français, cette production s'inscrit dans les principes de la Compagnie Opéra Éclaté qui revendique la volonté d'élargir le public d'un genre musical perçu comme cloisonné. Mais cet adage peut aussi s'avérer une contrainte puisque les moyens limités de la compagnie ne permettent pas la présence de la trentaine de musiciens nécessaires, ni l'intervention d'un chœur. Pour ce dernier, ses parties sont tout simplement supprimées. Mais pour le reste, les dix musiciens sur scène, un quintette à cordes et un autre à vents, n'ont pas du tout à rougir de leur prestation tant leurs attraits sont réels, et particulièrement concernant les instruments à vents qui offrent une richesse de couleurs fort élogieuse pour sublimer le chant grâce à l'attention portée par aux contrastes et au temps nécessaire en faveur du déploiement des lignes écrites par Mozart.

Crédits photographiques : © Nelly Blaya

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