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Avec l’ensemble La Rêveuse, un concert des oiseaux qui interroge le temps présent

Étonnante rencontre que celle de et de l' ! Dans un monde désenchanté par le spectacle de son autodestruction, le parti-pris de revisiter les classiques ornithologiques et d'inventer un Carnaval des animaux disparus – ou presque – fait sens, d'autant qu'il permet d'entendre un grand nombre d'instruments à vent eux-mêmes en quasi-extinction.

Le disque proposé par l' est fait de deux parties. La plus intéressante est une commande de la Rêveuse à sur le thème du défilé carnavalesque et construit somme une suite de danses façon XVIIIᵉ siècle. Nous entendons un défilé d'animaux impactés par le changement climatique ou les activités dévastatrices de l'homme. Pour compléter le programme, l'autre partie (la première, en fait) consiste en une assez longue succession de pièces connues, de Purcell à Ravel, réécrites ou adaptées par la Rêveuse ou . Le tout forme un ensemble cohérent, avec pour fils conducteurs l'analyse du rapport des humains avec les oiseaux et la nature, expliquée par Florence Bolton dans un texte tout-à-fait brillant, et la mise en jeu d'un instrumentarium de nombreuses flûtes ou flageolets, de taille, de forme et de tonalités différentes, accompagnés au besoin par des théorbes, un continuo, un vibraphone, une guitare baroque etc…

La première partie n'est pas qu'une simple mise en bouche en attendant la suite de Vincent Bouchot. C'est un itinéraire qui analyse avec finesse les rapports entre l'homme et les oiseaux, allant de la simple imitation – avec force coucous et rossignols (le Purcell, par exemple) – à la recréation d'une nature sauvage et mélancolique (Couperin…), et jusqu'au fantasme ridicule que l'homme a pu avoir au XVIIIᵉ siècle, que ce sont les oiseaux qui essayaient d'imiter le doux ramage des instruments. Elle permet aussi de mettre en place une grande diversité de sons, de couleurs, en jouant sur la variété des flûtes et flageolets, et sur la diversité des accompagnements : soit rien, soit un clavecin, soit une basse continue et même un vibraphone. L'ensemble est assez heureux, quoiqu'un peu démonstratif de virtuosité. L'humour s'y glisse volontiers (La Poule de Rameau transformée en basse-cour bavarde et dissonante par Vincent Bouchot…la mise en abyme de la société humaine dans un groupe d'oiseaux par Montéclair…), et la fraîcheur règne toujours.

C'est certainement le Carnaval des animaux en péril de Vincent Bouchot qui fait l'intérêt principal de ce disque. Sa démarche est différente de celle de Pascal Zavarro dans son Bestiaire disparu, qui alignait avec tristesse les animaux éteints. Ici, il s'agit d'un Carnaval, d'une mise en danse dans la forme d'une Suite (Prélude, Allemande, Courante etc…) comme une volonté de vivre malgré tout, ou s'il le faut, de mourir dignement et joyeusement. La tristesse du Pangolin, qui est le Prélude, est particulièrement touchante : voilà un animal totalement victime, discret et sans défense, surexploité, et de surcroit accusé de déclencher une pandémie. L'écriture fine et vaguement sinisante de Bouchot décrit avec pudeur cette injustice. Avec le Dodo de la Réunion, qui attend sa ressuscitation génétique, la Courante donne une touche de burlesque. La Sarabande du Harfang des neiges et le Harfang des mines, victimes indirectes du réchauffement climatique, interroge l'espace nocturne qui se vide de leurs ressources. Avec la Valse-twist du Concombre des mers, vain nettoyeur obstiné des fonds marins, l'impuissance de la Nature à contrer les dégâts des hommes atteint le désespoir. Mais le défilé reste toujours dansant ! Ce Carnaval se termine avec une Gigue, celle de l'Être humain, et sa fuite en avant. Le Carnaval joyeux ou triste, mais toujours déplorant, devient une course à l'abîme à la fois effrayante et ridicule. Pour interpréter ce Carnaval remarquable, intelligent et riche de nombreuses beautés, l' joue avec brio du vibraphone, de petites percussions, de basse de viole et bien sûr de diverses flûtes et flageolets. Une œuvre de notre temps, pour notre temps, à découvrir.

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