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Ténor ou la mort des clichés

On aurait tort de ne pas prendre au sérieux le premier film de  : Ténor règle leur compte à tous les clichés en cours dans le monde musical. Une vraie réussite.

Fils du grand amuseur public que l'on sait, a mûri sur dix années ce Ténor qui narre assez brillamment l'itinéraire compliqué d'un enfant pas complètement gâté : Antoine, vendeur de sushis et apprenti comptable, n'est vraiment lui-même que dans les compétitions de rap (les fameuses battles). Sa vie bascule lorsqu'un hasard le conduit dans les ors du Palais Garnier. On imagine aisément que passer du rap à l'opéra puisse s'apparenter à une course d'obstacles. On a encore en mémoire le cassant excessif de certaines plumes critiques à propos des Indes Galantes discutables mis en scène par Clément Cogitore. En face ce n'est pas mieux, l'opéra étant toujours inexplicablement considéré par l'homme de la rue comme un domaine réservé. Difficile donc, voire impossible, pour Antoine, de raconter à ses proches (son frère, dopé aux combats clandestins nocturnes, son collègue, sa possible petite amie) sa rencontre fortuite avec Madame Loyseau, professeur de chant lyrique et accessoirement passeuse de destins (« Elle va l'aider à trouver sa voix »), qui a repéré en lui un possible élève supplémentaire à ajouter à ses jeunes élèves de l'Académie de l'Opéra de Paris (derrière l'experte Marie Oppert, on reconnaît les déjà reconnus , ). Pour arriver à ses fins, Dame Loyseau est prête à tout, n'hésitant pas à invoquer la fameuse « discrimination positive » dont pourrait bénéficier son nouveau protégé pour rejoindre la classe fréquentée par quelques chanceux généralement nés avec une cuillère en argent dans la bouche.

Allers/retours entre banlieue et capitale, entre deux microcosmes que tout oppose : tout sonne juste dans Ténor. La, ou plutôt les musiques : celle originale de s'immisçant très finement dans les interstices classiques. L'écriture des dialogues : vifs, poignants, ne dédaignant pas les traits d'esprit. Le filmage, des plus soignés : cerise sur le gâteau avec l'à-propos d'un plan-séquence sur le plateau de Garnier, qui dit bien le vertige d'être au cœur de ce lieu mythique, qui plus est en compagnie de Roberto Alagna, accompagné par . Et bien sûr l'interprétation. Pas un rôle n'est inintéressant : le frère d'Antoine, montagne de muscles autour d'un cœur prêt à imploser (puissant Guillaume Duhesme), l'ex-future petite amie (très touchante Maeva El Aroussi), le collègue qui a peur des gouttes de pluie (hilarant Samir Decazza)… Mais surtout celui sans qui Ténor attendrait encore son interprète : Mohamed Belkhir. Bel et bon acteur, ce jeune rappeur, découvert en 2016 dans The Voice sous le pseudonyme MB14, excelle aussi au verbe, à la beatbox, au chant lyrique. C'est lui qui chante vraiment dans le film, doublé sur le seul finale, mais par sa propre voix pré-enregistrée. Michèle Laroque, entrée au cinéma sous le regard bienveillant de Jean Rochefort dans le merveilleux Mari de la coiffeuse, est une Madame Loyseau idéale : l'actrice populaire et classieuse qu'elle est fait passer sans pathos aucun le destin « traviatesque » de cette professeur de chant condamnée. Un registre que maîtrise également Zidi, qui offre à son interprète le cadeau d'un monologue sur l'opéra, dont les mots très justes ne manqueront pas d'ouvrir les yeux à tous ceux qui ont placé au plus haut de leur vie un genre (l'opéra) prompt à déverser tous azimuts des torrents d'amour. Enfin, avec un sens du rythme assez éblouissant, Zidi Junior, rassemblant en virtuose tous les talents de son film (comédiens, chef opérateur, musiques et décor), arrache les larmes (même à la seconde vision) au cours d'un crescendo final où il est impossible de rester de marbre.

Ouvert avec un combat à poings nus dans une cité anonyme, et se refermant sous le plafond de Chagall conçu pour un lieu mythique, Ténor explose un ultime cliché en tentant de réconcilier film populaire et film d'auteur. Une ambition qui lui vaut de pouvoir être recommandé à tout un chacun, que l'on s'éclate avec Parsifal de Richard Wagner ou avec Gangsta's Paradise de Coolio. Ou avec les deux.

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