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Pit, une création chorégraphique en clair-obscur à l’Opéra Garnier

Les chorégraphes Bobby Jene Smith et , anciens danseurs de la Batsheva, créent pour la première fois pour le Ballet de l'Opéra de Paris. Avec Pit, ils entraînent les danseurs du côté de l'abime.


Une nouvelle fois, l'Opéra national de Paris a souhaité confier une création à deux chorégraphes étrangers, qui n'avaient aucun lien avec la compagnie. et se sont rencontrés à la Batsheva, en Israël, et ont dansé sous la direction du chorégraphe Ohad Naharin, à partir de 2005 pour l'Américaine et de 2010 pour l'Israélien . Si la première a entamé en 2014 une carrière de chorégraphe et créé des pièces pour la Martha Graham Dance Company, le L.A. Dance Project et le Royal Danish Ballet, Or Schraiber a réalisé, chorégraphié et joué dans plusieurs courts-métrages. Ils unissent leurs deux savoir-faire dans Pit, une création qui tient autant de la mise en scène que de la chorégraphie.

Éclairé de manière diffuse du haut des cintres à jardin, le plateau complètement ouvert du Palais Garnier semble davantage un palais ou une cathédrale abandonnés qu'un espace théâtral. Un plateau surélevé d'environ 50 cm épouse la pente de la scène. Ce dispositif scénique est signé du scénographe danois . Dans une atmosphère angoissante, les danseurs en noir et blanc évoluent comme des conspirateurs autour de ce plateau hostile et massif et se lancent dans une danse théâtre muette. La chorégraphe parle de « dissimulation » pour traduire l'état d'esprit des personnages.
Une compositrice contemporaine, , a écrit quelques pages introductives au Concerto pour violon de Sibelius qui forme l'essentiel de la partition musicale. On reconnaît dans ces traits musicaux des extraits du Sacre du printemps de Stravinsky, ou du Boléro de Ravel, comme s'il ne s'agissait que de réminiscences de sons dans ce qui fut un théâtre.

Invité à s'extraire de la fosse d'orchestre pour jouer le Concerto pour violon de Sibelius, , premier violon solo de l'Opéra national de Paris s'avance à l'avant-scène. Créé le 8 février 1904 à Helsinki puis présenté dans une nouvelle version révisée en 1905 par la Staatskapelle de Berlin sous la direction de Richard Strauss, le Concerto pour violon en ré mineur op. 47 de est le seul concerto écrit par le compositeur finlandais. Il est d'une redoutable difficulté dont se joue la limpide interprétation de .

Si les parties sur la musique de Sibelius sont lumineuses, grâce au violoniste virtuose, les trois sections musicales ajoutées par avant et entre chacun des trois mouvements de la pièce de Sibelius assombrissent l'ensemble et entraînent les danseurs vers l'abîme. La mise en scène a délibérément choisi le côté obscur, entre une création lumière parcimonieuse et des danseurs que l'on peine à voir, tant ils nous semblent lointains, distants, absorbés par un autre monde.


Il y a parfois des moments magiques, comme lorsque se lance dans un solo anguleux et spasmodique, que semble improviser une danse expressionniste ou que s'offre dans une robe rouge aux envols symbolistes. Les unissons, somptueux, sont trop rares tout au long du spectacle, qui préfère les mouvements invisibles ou le hors-champ à la luminosité de la danse. Ce ballet sans argument tente bien quelques incursions du côté de l'image ou du symbole, mais c'est pour nous imposer la vision violente d'un corps couvert de terre et masquer le désordre du propos.

Comme pour Cri de cœur, la création d'Alan Lucien Øyen proposée en début de saison, les chorégraphes se sont laissé écraser par le gigantisme du plateau et les moyens sans limites mis à leur disposition, sans réfléchir à ce que le spectateur désirait voir : des corps en train de danser. Pit génère de ce fait beaucoup de frustration de ne pas pouvoir admirer à leur juste valeur les beaux danseurs du Ballet de l'Opéra de Paris et de ne pas tout à fait comprendre le projet dans lequel la compagnie parisienne s'est embarquée.

Crédits photographiques : © Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

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