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Les capiteuses Variations secrètes de Victoria Shereshevskaya

La musique de chambre avec voix est un genre peu répandu. La mezzo-soprano s'est entourée de trois musiciens français pour défendre ce répertoire, croisant ici des œuvres slaves et françaises du début du XXᵉ siècle à nos jours.

Née à Moscou, est attachée à ses racines comme à la France où elle vit depuis son enfance. Les univers musicaux des deux pays lui sont familiers, ceux en particulier de la mélodie. Elle les unit dans ce premier disque, rappelant les liens forts et historiques qui relient leurs cultures. Ici la chanteuse ne propose pas les pages renommées pour voix et piano de Rachmaninov et de Debussy ou Fauré qui sont de son répertoire, mais des raretés et des créations associant à la voix le piano, le violon et le violoncelle. On y découvre pour commencer un court cycle du russe , composé au tout début du XXᵉ siècle, tout comme les deux œuvres qui suivent, de et de . Écoutant Nos mains s'enlacent, nos yeux se cherchent, premier de ses Quatre poèmes de Rabindranath Tagore pour voix, violon et piano, on est sitôt saisi par le timbre capiteux et envoûtant de la chanteuse, par sa voix dense dont l'identité slave est d'autant plus reconnaissable qu'elle en corse les couleurs graves, soulignant par sa diction, dans les inflexions du chant, ce qu'il a de langoureux et de pathétique. La voix s'allège, s'éclaire dans les souples vocalises de la deuxième pièce qui évoque le chant d'un oiseau : le ton change, se fait badin, joyeux, charmeur. Avec quelle grâce et quelle aisance la musicienne sait se mouvoir dans l'amplitude étendue de son registre vocal ! Par leur écriture, leur lyrisme, les élans exaltés et passionnés du chant que le violon et le piano soutiennent de la vivacité de leurs échanges, les deux derniers poèmes s'attardent dans le romantisme dix-neuvièmiste. 

Ce n'est pas le cas des deux pièces suivantes, bien dans la modernité de leur époque. La saveur du Menuet de , d'une simple et belle humeur et l'atmosphère particulière de Violons dans le soir de (sur un poème d'Anna de Noailles), teintée d'accents tziganes du violon suave d', précèdent une musique d'aujourd'hui, mais d'une écriture étonnamment tournée vers le passé, empruntant, d'après leur auteur, au « romantique décadent ». Ce sont Cinq mélodies pour voix, piano et violon écrites pour les musiciens par le pianiste-compositeur , sur des poèmes de Baudelaire dont le fameux Harmonies du soir, où la voix de entrelacée avec le chant du violon fait des prouesses dans l'écartèlement du registre imposé par l'écriture (L'ennemi), atteignant des aigus aux confins de sa tessiture. 

Suit Cosmos d'Odessa, une pièce originale du compositeur né à Kiev , dédiée aux trois artistes : une œuvre vivante, exubérante, mêlant trois langues (russe, ukrainien, yiddish), des extraits parlés (sprechgesang), des effets (les bruits du vent et des vagues), colorée d'accents hébraïques (belle mélopée au violon), où le timbre de la chanteuse se fait au fil du récit tantôt chaleureux, incarné, tantôt immatériel et lointain. Enfin les Sept romances sur des poèmes d'Alexandre Blok pour voix, violon, violoncelle et piano de offrent des ambiances sombres et contrastées : morne tristesse, incantations puissantes, calme inquiétant, mystère, tourmente et agitation, que les quatre musiciens nimbent d'une couleur nocturne, parfois trouble et ténébreuse, percée des stridences de la douleur exaltée par l'intense expressivité du chant. Si vous l'aviez compris… de (l'auteur de Funiculi Funicula), ritournelle aux contours de valse empreinte d'une touche de regret, parée de la chaude voix et des ardentes intonations de Victoria Shereshevskaya, vient de son charme suranné conclure cet original récital doté d'un superbe écrin instrumental. 

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