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Marouan Mankar-Bennis disserte avec panache sur la musique de Bernardo Storace

, le prince sicilien du clavier baroque, brille de mille feux dans ce nouvel enregistrement qui lui est consacré. , entouré d'amis artistes, passe avec bonheur de l'orgue au clavecin pour nous révéler quelques pépites colorées comme le soleil du sud.

Ce disque est une invitation au voyage, une immersion dans un monde passé grouillant de sensations et de senteurs typiques de la Méditerranée. Tout est fait pour mettre l'auditeur dans l'ambiance avec, et c'est une trouvaille, quelques ponctuations sonores en guise de « plans de coupe » comme diraient les cinéastes, qui comme un écrin, permettent à la musique d'éclore dans son environnement. De , l'on sait peu de choses sur sa vie : une simple entête sur une édition de 1664 où il est présenté comme « Vice-Maître de Chapelle du très illustre Sénat de la Noble et Exemplaire ville de Messine » confirme son origine, lui qui vécut sa vie d'artiste en Sicile.

A l'écoute, la musique de Storace est joyeuse, festive, utilisant des formes caractéristiques de danses, de pastorales, de mélodies à la mode en cette fin du XVIIᵉ siècle et confortées par la Toccata ou le Ricercare. Au début l'orgue se fait entendre pour une Pastorale très colorée, rehaussée par les percussions actives de . L'instrument ibérique historique de Fresnes vient à point avec ses timbres tranchés pour souligner le côté populaire, rappelant les instruments traditionnels. Les trompettes en chamade évoquent quelque hautbois champêtre ou cornemuse, agrémentées de tambours, de cloches et de chants d'oiseaux. La magie opère déjà ! Le son nous envahit de toutes parts. Avant d'aborder au clavecin la pièce suivante, Arabella Cortese récite un texte dans un italien rempli de sensualité. Une belle épinette de Jean-François Brun d'après un modèle ancien résonne sur un Capriccio sopra Ruggiero. Le « Ruggiero » est un schéma de grille harmonique servant pour l'improvisation, largement utilisé par de nombreux compositeurs, dont Johann Sebastian Bach qui s'en est souvenu pour la basse des Variations Goldberg.

On en vient aux pièces qui ont fait la célébrité de , les Chaconnes et les Passacailles, elles aussi construites sur une basse obstinée à la fois lancinante et apte à développer un sens aigu de la variation. Cet auteur est sans doute l'un de ceux qui a le mieux excellé dans le genre par une inventivité à toute épreuve, charmeuse et entrainante d'un bout à l'autre des pièces. Autant de rebondissements qui font que l'œuvre semble ne jamais se terminer, alternant les rythmes, les modes et les modulations… Par la suite d'autres pièces évoquent quelque Bataille imaginaire ou un style plus sérieux avec les Ricercari qui, comme leur non l'indique, reposent sur des expérimentations contrapuntiques caractéristiques de ce siècle grouillant de nouveautés musicales. Les thèmes à la mode de La Monica ou Les Folies d'Espagne sont elles aussi savamment travaillées pour le confort de l'oreille. Le fil rouge des interludes, de climats de rues ou d'églises, nous emmènent jusqu'au bout de ce voyage où se fait entendre aussi un magnifique clavecin italien de Sean Rawnsley d'après un Giusti de 1681, qui sait nous enchanter encore…

est à tous points de vue inspiré et habité par le discours de cet énigmatique sicilien. Habile autant au clavecin qu'à l'orgue il nous montre Storace sous un jour lumineux et attractif. Les prises de sons des divers instruments est exemplaire et contribue à cette immersion nécessaire pour goûter tout le suc de ces pages.

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