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Les Bruckner d’Herbert Blomstedt au Gewandhaus de Leipzig

La réédition, chez Accentus Music, des enregistrements brucknériens d' est une bonne nouvelle. Ces bandes qui parurent originellement chez Querstand témoignent du legs important que laisse le chef. S'agit-il pour autant de références essentielles dans une discographie déjà considérable ?

Ce coffret bien présenté laisse rêveur quand on songe aux témoignages multiples laissés par Blomstedt pour chacune des symphonies du cycle (à l'exception des premiers opus en fa et ré mineur que le chef n'enregistra pas). En effet, on se réfère généralement à ses quelques interprétations les plus accessibles comme celles avec le Symphonique de San Francisco pour Decca. Une discographie plus détaillée nous confronte à onze versions différentes pour les seules symphonies n° 4, 5, 7 et 8 ! Depuis que les concerts d'orchestres et les archives se diffusent aussi aisément, il serait dommage de se priver, par exemple, des gravures des Symphonies n° 3, 6 et 8 avec le Philharmonique de Berlin, de la Symphonie n° 4 avec la Staatskapelle de Dresde ou de la Symphonie n° 9 avec l'Orchestre symphonique de la Radio de Bavière. Autant de versions qui nous paraissent d'un intérêt supérieur à celles réunies dans ce boitier.

Quelles sont les caractéristiques des interprétations captées à Leipzig ? Pour mémoire, Blomstedt avait quitté la direction musicale de l'orchestre en 2005 – date du premier jalon de son intégrale – laissant la baguette à Riccardo Chailly. La précision et l'équilibre des masses sonores s'imposent dès les premières écoutes. Chaque plan se construit dans la crainte du pathos et avec le souci de la plus extrême clarté. Difficile de ne pas apprécier le premier mouvement de la Symphonie n° 7, l'un des plus lents et détendus de la discographie ! Blomstedt réussit à merveille d'autres pages comme l'Adagio de la Symphonie n° 5 dont les couleurs pastorales mettent en lumière tant de détails. La filiation de l'écriture brucknérienne avec celles de Schubert et de Schumann devient pertinente, tout autant dans le Scherzo de la Symphonie n° 1, qui met en valeur la splendide homogénéité de l'orchestre : une superbe version construite dans la masse des pupitres et avec un sang-froid impressionnant. Les dialogues subtils entre les flûtes et les cordes, par exemple, sont restitués avec une élégance magistrale. Dans bien des mouvements, la phalange allemande témoigne d'une tradition par la manière de phraser, d'étirer les lignes mélodiques afin que le contrepoint ressorte. Une tradition qui remonte à Arthur Nikisch qui, au lendemain de la Grande Guerre, dirigea pour la première fois une intégrale Bruckner.

Au fil des symphonies et par la volonté du chef d'orchestre, se crée par conséquent, une sorte de continuité narrative séduisante parce qu'en quête de l'expression la plus naturelle et la plus sobre qui soit. Pourtant, l'évolution de l'écriture brucknérienne est constante et certaines œuvres révèlent des préoccupations spirituelles qui réclament un engagement dépassant la seule ambition de produire de la “belle” musique. C'est le cas tout particulièrement des Symphonies n° 5, 7 et 9. Blomstedt s'exprime ainsi dans l'excellent texte de présentation : « aussi religieux qu'il ait été [Bruckner] : sa seule profession de foi, c'est la musique ». Soit. Mais, celle-ci demeure, chez Bruckner, avant tout une offrande à Dieu ou pour le moins, l'expression d'une force spirituelle si prodigieusement et diversement révélée par Wand, Jochum, Haitink, Furtwängler, Giulini et Celibidache, entre autres. De fait, une telle volonté d'objectivité bien illusoire – l'Art pour l'Art – fait abstraction de cette dimension. Cela conduit inévitablement à des pertes de tensions, à des phrases sans substance, mais aussi à des passages raides sur le plan rythmique et dans lesquels la dureté des premiers violons du Gewandhaus heurte, à l'instar du finale de la Symphonie n° 8. On s'interroge aussi sur certains choix de versions. N'eut-il pas été préférable de proposer la version de la Symphonie n° 3 captée en 1998 plutôt que celle de 2010, toutes deux au catalogue de Querstand ? La première est d'un engagement supérieur, mais elle aurait probablement altéré la cohérence de l'ensemble.

Cette somme musicale d'une probité artistique et d'une élégance incontestables montre d'autant plus ses limites dans une discographie d'une hauteur de vue aussi considérable.

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