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Une 4e de Bruckner rare par François-Xavier Roth et le Gürzenich-Orchester Köln

Nonobstant le fait de s'intégrer dans un projet d'intégrale pour 2024 (bicentenaire de la naissance du compositeur), le grand intérêt de cet enregistrement tient d'une part à l'interprétation de à la tête du Gürzenich-Orchester Köln, et d'autre part à la rareté de la version choisie, puisqu'il s'agit de la version originale de 1874.

Il faut bien avouer que même pour le mélomane des plus avertis, il est parfois difficile de s'y retrouver dans les multiples moutures que Bruckner a composées de ses neuf symphonies : révisions nombreuses, réécritures sous l'influence, pas toujours heureuse, de ses amis dont on trouvera l'historique et les détails dans l'édition intégrale critique de la Bruckner-Gesamtausgabe. En effet seules les Symphonies n° 5, n° 6 et n° 7 ne comportent qu'une seule et unique version. Pour sa part, la Symphonie n° 4 connut au moins trois révisions successives majeures : composée en 1874, révisée en 1878 avec modifications des premiers et deuxièmes mouvements, puis composition d'un nouveau Scherzo, le célèbre « scherzo de chasse » et enfin réécriture complète du Finale en 1880, encore modifiée en 1888 ! C'est sous la forme de 1880 que la Symphonie n° 4 nous est connue au disque comme au concert.

Délaissée, la version de 1874 qui nous intéresse ici ne sera exhumée qu'un siècle plus tard en 1975 et enregistrée en 1984 par Eliahu Inbal avec la Radio de Francfort pour le label Teldec. Des enregistrements plus récents furent également réalisés par Denis Russel Davies, Kent Nagano, Simone Young et Daniel Harding.

Plus qu'aucune autre version, cette version originale de 1874 mérite son appellation de « Romantique » tant elle est imprégnée de mystère et de ferveur.

Après une ouverture marquée, comme dans la version 1880, par un périlleux appel de cor sur des trémolos de cordes, le premier mouvement Allegro, tout imprégné d'attente et d'urgence, se déploie sur un phrasé mouvementé, avec d'importantes variations rythmiques et de longues pauses. , fidèle « à la manière de Bruckner », y ménage, sur une dynamique fluctuante, des transitions abruptes et des contrastes saisissants entre d'intenses crescendos cuivrés soutenus par des timbales tonitruantes et des moments plus lyriques laissés aux cordes.

Assez semblables dans l'esprit dans les deux versions de 1880 et 1874, la longue méditation sombre de l'Andante qui fait la part belle aux sonorités graves (cors et cordes graves) est abordée par dans une veine plus lyrique où la ferveur parait bien modérée, en gommant quelque peu l'aspect religieux, malgré une coda apocalyptique et triomphante typiquement brucknérienne.

Point de Scherzo de chasse dans cette version de 1874, mais un troisième mouvement « sehr schnell » sans doute moins spectaculaire dans sa dynamique et ses contrastes que celui de 1880, initié par un appel de cor auquel fait suite immédiatement un crescendo impressionnant de vigueur, de puissance et de solennité. Séquence plusieurs fois répétée, envoutante, entrecoupée de longues pauses, encadrant un Trio plus lyrique confié aux cordes (altos) et à la petite harmonie (hautbois) avant de se conclure sur une péroraison péremptoire et grandiose du tutti lancée une fois encore par l'appel du cor. Il se dégage de ce mouvement une impression de pesanteur inexorable bien différente de la cavalcade haletante du scherzo de la version 1880.

Loin du monumental portique et de la dynamique triomphale du Finale de 1880, celui de la version de 1874 présente une progression plus hésitante, notoirement plus lourde, toujours fondée sur l'alternance de crescendos ardents et d'épisodes plus lyriques peuplés de bruissements (petite harmonie) dans une succession dont François-Xavier Roth peine toutefois à maintenir l'unité.

Nonobstant l'énergie et l'ardeur de François-Xavier Roth à défendre cette version initiale et malgré la magnificence de la phalange allemande, il faut bien reconnaitre que l'avantage va clairement à la version de 1880. La version originelle, plus fruste, apparaît plutôt comme une esquisse à valeur documentaire confortant Bruckner dans le bien-fondé de la nécessaire récriture des troisièmes et quatrièmes mouvements… Mais l'essence de l'art n'est-elle pas d'être toujours inachevée, gage de son éternelle vitalité…

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