- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Cordes sensibles avec Roger Tessier

Après un double album marquant, en forme de « jubilé », la discographie du compositeur et co-fondateur de L'Itinéraire, , s'enrichit d'une nouvelle gravure autour des cordes frottées.

Le rêve de l'Indien, Quatuor n° 1, est écrit en 2003 pour fêter les trente ans de L'Itinéraire, créé la même année par le Quatuor de L'Itinéraire. L'œuvre s'inspire de la toile éponyme de Robert Le Guinio (1937-2018), peintre de l'abstraction avec qui le compositeur avait tissé des liens d'amitié. L'œuvre en plusieurs mouvements révèle un travail très fin sur les textures et le mouvement qui traverse la matière au sein d'une écriture où les seize cordes sont solidaires, entre stagnation et mouvement éruptif, plasticité des lignes et blocs de matière très compacts. Des bribes de thèmes semblent se dessiner avant d'être pulvérisées par des salves de pizzicati, les détours d'une trajectoire fantasque sollicitant sans cesse l'imaginaire de l'auditeur.

Le son est irisé et la matière frissonnante, les couleurs intenses et le geste puissant dans Les constellations oubliées, Quatuor n° 3 où s'entend le même travail sur les textures et le timbre. Le compositeur regarde cette fois vers les pulsars, « ces étoiles à neutrons qui émettent un fort rayonnement électromagnétique », précise-t-il. Ils avaient déjà enflammé l'imaginaire de Gérard Grisey dans Le noir de l'étoile! Le modelé est plastique, les surfaces lisses ou granuleuses, les morphologies sans cesse renouvelées selon la nature des huit pulsars sélectionnés par le compositeur. L'œuvre dédiée à Jean Leber, premier violon du qui l'a créée en 2018, est aussi un hommage à ce grand musicien disparu en 2020.

Au sein des cordes frottées, aime les instruments graves, au spectre large, au point d'écrire un quatuor pour contrebasses. Scène V, la pièce la plus courte (4′) et la plus ancienne du CD (1993) est une commande de Christian Gentet, membre du quatuor et fondateur d'un orchestre de contrebasses. Les sonorités sont perchées, fragiles et délicates (sons harmoniques) lorsqu'elles ne grondent pas dans « l'outrenoir » de leur registre grave. Nourrie de contrastes et traversée de gestes d'humeur, Scène V, sous les archets réactifs des quatre musiciens, assume sa dimension théâtrale.

Polyptic pour une ombre (2007) convie un violoncelle et une contrebasse. La joute sonore (« pizz Bartok », instances bruitées, coups d'archet violents, etc.) rehaussée par les voix laryngées des instrumentistes est musclée, générant une matière aux surfaces mouvantes et hérissées. Au centre, le jeu en harmoniques des deux instruments apporte sa contrepartie aérienne et flottante, accueillant le sifflet des deux musiciens : un itinéraire du timbre dont explore tous les chemins de traverse.

(Visited 187 times, 1 visits today)