- ResMusica - https://www.resmusica.com -

La musique chorale de Kaija Saariaho

Enregistré quelques mois avant le décès de la compositrice, ce CD monographique paru sous le label finlandais BIS Records, avec le chœur de chambre d'Helsinki, propose l'intégrale de la musique chorale a cappella (ou accompagnée de quelques instruments) de , soit six pièces avec ou sans électronique courant sur quelques trente années de composition.

La musique de sait, mieux que toute autre, nous faire sortir du réel pour nous emmener dans d'autres espaces que son imaginaire recompose. Ainsi en est-il des Nuits, adieux, une œuvre présentée dans ses deux versions, celle de 1991, avec solistes et électronique, et celle de 1996 avec solistes et chœur à huit voix. Les textes en français sont ceux de Jacques Roubaud (Nuits de I à V) et de Honoré de Balzac (Adieux I à V) qui alternent de manière irrégulière. Le temps y est étiré, l'espace démultiplié (via l'électronique) et l'écriture agencée par strates : des tenues bénéficiant d'une réverbération généreuse, des interventions solistes en charge du texte (chanté et parlé) et une trame plus bruiteuse (souffle, sifflantes, chuintement, roulement, murmures, etc.) relayée et traitée par l'électronique dans la première version. Le chœur, l' exemplaire dans la version de 1996, en resserre les composantes. L'espace y est moins éthéré et le matériau d'autant plus organique.

On retrouve ce même type d'écriture dans Écho! (2007) pour huit voix solistes et électronique. Le mythe célèbre est revisité par la plume d', le fils de la compositrice avec qui elle va multiplier les collaborations. L'écriture vocale s'attache ici davantage à la prosodie quand l'électronique (Timo Kurkikangas) prolonge à l'envi le phénomène d'écho (réverbération et filtres delay), ouvrant très grand l'espace de résonance inscrit dans un temps long et immémorial.

fait chanter la langue allemande dans Tags des Jahrs (2001) pour chœur et électronique. Déclinant les quatre saisons, le texte de Friedrich Hölderlin est écrit dans la deuxième partie de sa vie sous le pseudonyme de Scardanelli. Passe à travers l'électronique des fragments d'une voix traitée et autres phénomènes bruités. Ils interviennent en alternance avec le chœur, en doublure (Der Herbst) ou en contrepoint (Der Winter), véhiculant leur part d'étrangeté et leur lot d'inquiétude. L'exécution du Chœur de chambre d'Helsinki sous la direction de (Timo Kurkikangas aux manettes) est saisissante. Sur les mots du même poète, Überzeugung (dédié à Gérard Mortier) est un bijou d'à peine quatre minutes. Scandé par les pizzicatos du violoncelle et la résonance des crotales (les musiciens de l'), le texte est confié à trois voix de femmes au chant hiératique que colore d'une touche légère la fine texture saturée du violon.

n'a que quinze ans lorsque Kaija Saariaho, comptant sur une plume qui saura saisir quelque chose de l'enfance, lui demande d'écrire un texte destiné à être chanté par l'atelier vocal du Conservatoire parisien du Centre auquel participe sa fille Aliisa Neige. Horloge, tais-toi (2005) pour chœur et piano est une perle (enregistrée en première mondiale) abordant, sous une apparente légèreté, un sujet des plus sérieux : « Je déteste son bruit, il me tourmente… Il me rappelle que le temps s'écoule… »). Les claquements de langue imitent le bruit du balancier tandis que les heures résonnent sous les clusters du piano. C'est le chœur de femmes d'Helsinki (et son léger accent finnois) qui l'interprète, avec au piano .

Écrit dans l'élan de son cinquième ouvrage lyrique Innocence, Reconnaissance (2020) pour chœur mixte, percussion et contrebasse, qui donne son titre à l'album, scelle une nouvelle fois la collaboration de Kaija Saariaho avec son fils Aleksi. Madrigal de science-fiction, comme ce dernier aime l'appeler, Reconnaissance est un voyage en cinq étapes, sans électronique pour autant, qui nous mène de la planète Mars au désert des Indiens Hopis, abordant les problématiques liées à l'écologie, à la préservation de la nature et à notre faculté à nous adapter aux nouvelles conditions de vie.

Si l'écriture par strates déjà citée, avec ses différentes couches d'énonciation du texte, rejoint le paysage post-apocalyptique (« neige carbonique en été rouge ») décrit dans The First Martian in a Long Time, Count Down (Compte à rebours) nous ramène sur terre avec force cris et sentiment d'urgence, via une écriture, pulsée et battue par les coups de la caisse claire, rarement éprouvée par la compositrice ! Comme dans l'Interlude, les langues se mêlent dans Desert People (4), musique ritualisante accompagnée des grelots et des crotales. L'œuvre s'achève par un requiem : Que l'abîme ne les engloutisse pas / qu'ils ne tombent pas dans l'obscurité ; c'est une prière chantée haut et fort par la collectivité qui ramène la présence des longues trames entretenues au sein d'une écriture le plus souvent homorythmique, attachée au texte et à sa fonction expressive. La ferveur du Chœur de Chambre d'Helsinki sous la conduite de Niels Schweckendiek et la qualité de ses voix (synergie des pupitres, pureté des aigus et basses souveraines) magnifient cette trajectoire étonnante à laquelle prennent part les musiciens de l'.

Lire aussi :

L'Amour de loin… si proche ; in memoriam Kaija Saariaho

 

(Visited 455 times, 1 visits today)