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Charme, grâce et élégance avec Benjamin Bernheim

Dans un programme d'une rare unité stylistique, le ténor français fait chavirer le public de la Philharmonie de Luxembourg.


On a rarement l'occasion d'entendre un programme aussi « confortable » pour l'oreille, fait de grands tubes du répertoire plus agréables à l'écoute les uns que les autres. Le choix du confort, il va de soi, ne relève en rien de la facilité et n'empêche surtout pas la cohérence de la sélection opérée. Le programme est en effet exclusivement composé de pièces du XIXᵉ siècle, fait rare de nos jours. À la partie entièrement italienne, si l'on fait exception des extraits d'Eugène Onéguine donnés en tout début de concert, succède la partie française. Le programme, on s'en doute, est élaboré aux petits oignons pour mettre en valeur dans ses répertoires de prédilection. Personne ne s'en plaindra, d'autant plus que le ténor franco-suisse a l'art de donner à chaque morceau l'impression qu'il est entendu pour la première fois.

D'emblée, le public tombe sous le charme des demi-teintes du déchirant adieu à la vie qu'est le « Kouda, kouda » de Lenski, pour lequel Bernheim trouve des accents d'une rare sobriété. Le curseur monte encore d'un cran avec un « Una furtiva lagrima » d'une extrême poésie, avec une attention toute particulière portée au texte. Oui, « si può morir d'amor », cela veut dire quelque chose, et ce texte n'est en rien anodin. Concernant le « Ah ! La paterna mano » du Macduff de Macbeth, on se réjouit d'avoir pour une fois l'occasion de l'entendre chanté par un ténor de premier plan, ce qui n'est pas toujours le cas au théâtre. Le « Recondita armonia » de Tosca fait partie des moments les plus lyriques de Cavaradossi, et l'on est impatient de voir un jour Bernheim dans ce rôle à la scène. Si notre ténor est surtout maître dans l'art de dire et de suggérer, par un usage parfaitement maîtrisé de la voix mixte et de la mezza voce, il n'en dispose pas moins de réserves de puissance qui laissent espérer de passionnantes prises de rôle à l'avenir.

Si cela était encore possible, le niveau monte encore d'un cran pour la partie française du programme, où l'élégance de la diction fait chavirer le public devant les interprétations, certes bien connues, de Roméo, Werther et Des Grieux. Le ténor, qui chante tout son programme sans partition, a également un art bien à lui de se poser physiquement et d'occuper le vaste espace de l'Auditorium de la Philharmonie. Ce qui devait être une cerise sur le gâteau, le duo de Manon et Des Grieux à l'acte 3 de l'opéra de Massenet, ne se situe pas tout à fait sur les mêmes sommets. La soprano est en effet mise à rude épreuve par le moment le plus dramatique d'un opéra dont elle a sans doute les moyens vocaux, en tout cas pour les scènes plus lyriques, mais elle ne dispose pas encore des qualités interprétatives de son partenaire. Dans un premier bis, ce dernier nous ouvre encore les portes du ciel avec l'air de Nadir, tandis que le duo de Rigoletto, davantage en adéquation avec les moyens de , frôle l'accident avec ses aigus finaux. Visiblement inspirés par l'exceptionnelle prestation de , les donnent le meilleur d'eux-mêmes, autant dans les pages clinquantes que dans les morceaux plus planants. Un magnifique concert, donc, au service d'un des interprètes les plus accomplis de notre génération.

Crédit photographique : © Edouard Brane

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