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Il pleut des voix de femmes, de Sophie Lacaze avec l’ensemble Mora Vocis

Relevant d'une collaboration étroite avec l'ensemble vocal féminin , spécialisé dans le répertoire du Moyen Âge, les cinq pièces de ce nouveau CD monographique de la compositrice questionnent la relation entre texte et spiritualité, musique et action rituelle.

L'univers sonore de s'inscrit dans un temps long et affiche une prédilection marquée pour les voix et les instruments qui s'en approchent ; ainsi ce saxophone qui chante parfois seul ou se fond à la trame vocale dans Je vois passer l'Ange, une œuvre pensée pour l'espace de la Cathédrale Sainte-Cécile d'Albi. Les cinq mouvements déclinent autant de couleurs (vert, blanc, or, bleu, rouge) que de langues (latin, hébreu, occitan) au sein d'une forme concentrique axée sur la troisième partie, une des plus belles plages de l'album. Elle est le cœur du rituel où résonnent les crotales. Le latin y est scandé par les voix en litanie sur une trame sonore où son et souffle, sifflet et respiration habitent l'espace.

Le texte, celui de Jean-Pierre Rosnay, constitue le fil narratif dans En Quête où le chant, le piano et le saxophone entrent en résonance avec la voix du comédien . Ils en sont tout à la fois l'écrin et le commentaire, l'écho et le partenaire lorsque la soprano Els Janssens Vanmuster prend part au récit. Fauvette convoque la même plume et la présence d' aux côtés des trois voix de femmes. La trame littéraire y est poly-textuelle, différentes strophes étant lues et chantées en même temps et dans des débits différents comme dans le motet triple du Moyen âge. Le jeu qui consiste à répartir chaque syllabe d'un mot entre les voix (technique du hoquet) est une autre référence à la musique médiévale.

Réunissant les quatre voix de (Céline Boucard, , Isabelle Deproit, Caroline Marçot) et le piano (), Il pleut des voix de femmes, qui donne son titre à l'album, est le premier vers d'un calligramme de Guillaume Apollinaire : Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes, même dans le souvenir. Le chant se diversifie comme les couleurs de la toile sonore : notes du piano en gouttelettes sur la trame vocale, texte désarticulé et mouchetage des voix en hoquet. Le climat s'assombrit avec le jeu du piano-harpe dans les cordes et les clusters assénés dans le grave de l'instrument. Le texte passe aussi par la voix parlée, celle des chanteuses en relais ainsi que celle de qui conclut : « Écoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas ».

Le Moyen Âge est une fois encore convoqué dans O Sapientia (commande de ), autre temps fort de l'enregistrement pour voix a cappella. Le texte merveilleusement imagé et porté dans la clarté et la puissance vibratoire du chant, reprend le début de la sixième vision de la sainte Hildegard von Bingen. La voix parlée alterne ou se tuile avec les commentaires chantés : trames qui s'étirent, enflent ou se retirent ; les voix suscitent au passage quelques figures madrigalesques (écriture constellaire pour les étoiles, motif en sixtes ascendantes pour la voix céleste, etc.). Le rituel s'accomplit avec l'ajout des crotales et les voix qui scandent en valeurs longues le texte latin.

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