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Michel Chion, musicien de la célébration

Tresser les paroles du dogme catholique avec sa propre vision des choses, de terre et de chair. C'est le projet de dans les deux pièces acousmatiques de ce nouvel album monographique où, à son mythique Requiem, Messe des funérailles (1973) s'adosse Laudes, pièce achevée en 2019.

« Requiem de terre », pourrait-on dire, comme il existe, dans le catalogue de , une Messe de terre (2014) célébrant la vie dans toutes ses manifestations et donnant du sens et de la résonance au texte liturgique : « Le Requiem a été fait en pensant moins à cette majorité silencieuse que sont les morts qu'à cette minorité agitée que sont les vivants », prévient le compositeur. La pièce est en dix numéros, ajoutant Épitre, Évangile, et Pater Noster à la liturgie traditionnelle. Dans Requiem æternam, le texte est d'abord dit en français (la voix de ) avant l'originel latin qui diversifie les timbres et les modes d'énonciation (manière litanique chère au compositeur) en lien avec le flux électroacoustique. La voix féminine est filtrée, lointaine et flottante, dans le Kyrie eleison. C'est un enfant qui dit l'Épitre, comme un jeu, doublé par une voix d'homme ombrageuse. Balançant entre terreur et humour distancié, le Dies irae est d'abord sonore, figure agressive et distorsion du son que l'on ré-entendra dans le Libera me. L'Évangile ménage quelques « tournures de son »1 en extérieur quand le Sanctus, très théâtral, restitue l'acoustique réverbérante d'une cathédrale. La joute verbale y est quasi animale, déchiquetant le mot latin avec une rare férocité. « L'éternelle lumière » s'accompagne de quelques figuralismes avant le Libera me, la partie la plus développée laissant entendre les échos d'une foule revendicative. Coupant court (la discontinuité est de règle), la voix de Michel Chion sur la toile sonore aérienne des flûtes dit en français ses louanges avant un finale mêlant dans un même geste, le trivial et le sublime, le spirituel et le terrestre. La numérisation de la bande originale et le mastering soigné de Jonathan Prager offrent des conditions d'écoute idéales.

« Les Laudes sont un office chrétien pour célébrer le créateur à chaque lever du jour », précise le compositeur, s'agissant de la deuxième pièce de cet enregistrement. Elle articule trois moments écrits en deux temps (2015 et 2019) et désormais inséparables. Comme Stravinsky dans sa Symphonie de Psaumes, Michel Chion fait entendre le Psaume 150 dont le texte en latin et en français est dit par des voix de synthèse qui en diversifient les modes d'énonciation : le flux sonore est instable et discontinu relevant de cette technique singulière consistant à élaborer, par mixage et micromontage, une matière hétérogène, hachée, hérissée et bruiteuse dans la première partie, les voix enfermées. Appels est un court intermède, « un intervalle de temps » constitué pour partie de « tournures de sons » en extérieur. En chemin, le troisième moment, est soumis au même traitement que le premier : fragmentation, micromontage et instabilité du flux, n'était cette voix répétant « maniaquement » le mot Laudate au sein d'un foisonnement bruiteux et un espace de tension qui excitent les sens et suscitent les interrogations.

1Le terme appartient au vocabulaire personnel du compositeur ; il souligne le caractère intentionnel et créateur de diriger les sons devant un micro.

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