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Beat Furrer ou l’espace réduit des possibles

Réunissant pour la première fois l'intégralité des quatuors de , compositeur suisse trop peu connu en France, lesquels sont interprétés par les excellents Diotima, ce coffret, qui invite également est donc un événement à plus d'un titre.  

La musique de ne répugne pas aux paradoxes apparents, elle qui au surplus ne répond qu'à une exigence intérieure étrangère à tout contrainte politique ou de marché, ainsi que l'expliquait en 2021 au micro de Corinne Schneider (« Carrefour de la création ») la sociologue Gisèle Sapiro.

Premièrement, elle construit sa progression sur une matière éclatée, un ensemble discontinu qui semble faire du sur place, étant sujet à de multiples répétitions tournant à l'obsession et en même temps travaillé par d'infimes variations qui la font avancer. La très belle pièce intitulée Spur für Klavier und Streichquartett (1998), qui inaugure le premier disque et donne son nom au coffret, est l'exemple type de ce monde sonore kaléidoscopique non discursif. L'allemand Spur désigne la trace, l'empreinte, la piste, la voie. Ici, la matière est nerveusement creusée et se poursuit elle-même comme allant tout droit, mais sur l'archivage d'indices fugitifs repris et combinés différemment. Offrant une assise à la pluie de pizzicati et de coups d'archets brusques et brefs qui fusent de toutes parts dans une sorte de danse aérienne, le piano ressasse ses ostinatos dans le médium et le grave. Sa liquidité sonore se marie merveilleusement aux cordes pincées ou frottées. et les membres du répondent impeccablement à l'énorme exigence de précision d'un tel ouvrage.

Deuxièmement, l'écriture de Furrer semble opérer par analogies avec les procédés des arts plastiques, le compositeur se sentant très proche de ces disciplines. C'est ainsi que plusieurs œuvres explorent une structure de manière répétée et s'en approchent par touches successives. On pense à cette phrase de Saint-John Perse dans Oiseaux IV : « La fulguration du peintre, ravisseur et ravi, n'est pas moins verticale à son premier assaut, avant qu'il n'établisse, de plain-pied, et comme latéralement, ou mieux circulairement, son insistante et longue sollicitation. » En témoigne le Streichquartett für zwei Violinen, Viola und Violoncello n° 1 (1984), en six mouvements, qui se partage entre des moments de pur flottement joués pianissimo par des instruments semblant partager leurs conciliabules à l'ombre d'une surface lisse, et quelques interventions subites et dramatiques qui déchirent cette toile ou matière qui se dérobe.

La même expérience physique d'une écoute renouvelée attend l'auditeur dans les trois autres Quatuors, retenu qu'il est par l'exploration des différents aspects physiques de la sonorité, tandis qu'il ne semble rien se passer ou presque. C'est la magie opérante de cette musique toujours étonnante sinon étrange, toute en nuances aériennes, qui joue principalement sur l'harmonie ainsi que les rythmes, et qui n'est jamais gratuite puisque habitée par le creusement quasi maniaque d'une ou de plusieurs idées musicales. Une musique parlant également à la sensibilité par son caractère intime.

À l'instar du Streichquartett für zwei Violinen, Viola und Violoncello n° 4 (2021), intorno al bianco für Klarinette und Streichquartett (2016) est enregistré ici pour la toute première fois. Fidèle à sa volonté de limiter le nombre de sons en éliminant beaucoup de voies dans l'infinité des possibles sonores, le compositeur, dans cette dernière pièce, en appelle à la mémoire de l'auditeur, qui doit maintenir son attention dans un espace étroit fait de parties instrumentales se chevauchant dans des intervalles très fins. Le procédé – qui n'en est pas vraiment un, puisque tout, chez Furrer, semble nécessaire – peut lasser et agacer les tympans (un seul mouvement de 26 minutes !), même si le timbre de la clarinette finit par s'imposer en crevant cette morne traversée « autour du blanc », faite de glissandi s'étirant à l'infini dans une imperceptible ascension crescendo vers un sommet « enneigé » de notes suraigües. La scintillance du morceau se nourrit là encore d'une dialectique maintenue de bout en bout entre la perception de l'identité et de la divergence. à la clarinette et les Diotima sont tout à fait à leur aise dans ce dialogue très serré.

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