La jeune violoniste María Dueñas ose un programme original construit autour de l'idée de caprice et, évidemment, les vingt-quatre de Paganini. Les contrastes exacerbés et la recherche de timbres insolites frôle une certaine préciosité, mais le résultat impressionne.
L'idée de Caprice sert de fil conducteur à ce double album très savamment construit de la violoniste espagnole Maria Dueñas (née en 2002). Les deux tiers en sont consacrés aux Vingt-quatre Caprices de Paganini, dans une lecture très personnelle et originale. Certes, le tempo ne fait pas tout mais la première audition impressionne par l'extrême élargissement sinon exaspération des indications du compositeur. Si l'ensemble du cycle frappe par son ampleur, il marque aussi par l'intensité des contrastes, passant dans un seul morceau d'un lyrisme exacerbé et ample à des accents d'un emportement rageur, et une sophistication des timbres qui peuvent être carrément et volontairement laids (19e caprice). Résultat, au total il faut presque 1h40 à Maria Dueñas pour boucler le cycle quand Michael Rabin dans sa version légendaire de 1958 mettait 1h09 et Itzakh Perlman en 1972 1h12. On admire certes l'extrême raffinement des phrasés et des coups d'archet, la recherche permanente d'expression et de variété de sonorité si ce n'est d'expressionnisme, mais une lecture aussi puissamment pensée soit-elle ne touche pas aussi directement que la splendeur plus immédiatement frappante des références citées ci-dessus.
Au demeurant, la soliste s'explique de son approche dans un texte de présentation qui rappelle que le terme espagnol de Caprichio traduit une notion de liberté dont elle profite pleinement. A noter qu'elle joue sur un Stradivarius prêté par la Nippon Music Fondation, le « Camposelice » de 1710 et un Nicolo Gagliano de 17?4 – la date exacte en est inconnue – prêté lui par la Deutsche Stiftung Musikleben sans que le choix de chaque instrument soit précisé morceau par morceau.
Les compléments du second CD sont plus hétérogènes et d'une réussite inégale mais les caprices basque de Pablo de Sarasate et andalous de Camille Saint-Saëns tutoient la perfection. On placera ainsi au pinacle l'éblouissant Caprice basque et le rare Caprice andalous, plus convaincant que le célèbre diptyque Introduction et Rondo capriccioso qu'on a connu autrement virtuose et éclatant par Heifetz, Perlman ou Amoyal pour ne citer qu'eux sans compter l'accompagnement assez banal de l'Orchestre du DSO de Berlin dirigé par Mihhail Gerts. En revanche la tendre Rêverie et Caprice de Berlioz sied à merveille à la musicienne. Boris Kuschnir qui fut son professeur à Vienne se joint à elle pour la rare Etude-Caprice de Wieniawski tandis que le long et bavard De Cuerda y Madera de la compositrice mexicaine Gabriela Ortiz enregistré en première mondiale et écrit pour la soliste (tout comme le bref Milstein caprice de Jordi Cervelló) fait assez pâle figure dans cet ensemble toujours passionnant, parfois déroutant, qui reflète une pensée et une vision musicale très originales.