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À l’Opéra Bastille, Manon et Joséphine Baker au temps des Années folles

Cette reprise de Manon de à l'Opéra Bastille, dont la mise en scène de continue d'interroger, voit l'éclatante confirmation d' et de dans les rôles principaux.

Force est de reconnaître que cette reprise de Manon de Massenet, déjà donnée en 2020 et 2022, ne manque pas d'atouts, à commencer, par son casting vocal qui associe et (remplaçante de Nadine Sierra souffrante) dans les rôles principaux, mais… Si la transposition dans les Années folles semble, a priori, une bonne idée au prix de quelques libertés avec le livret, la présence un peu incongrue et omniprésente d'une pseudo Joséphine Baker (Danielle Gabou) guidant les pas de Manon, n'est peut-être pas aussi convaincante de prime abord, une fausse bonne idée en complet décalage avec le livret, dont on se serait volontiers passé.

Cette remarque mise à part, la mise en scène de , parfaitement lisible, bénéficie de la très belle scénographie d' qui se décline en six tableaux dont on retiendra, tout particulièrement à l'acte III, le monumental bal masqué très bariolé faisant référence au fameux « Bal de Charles de Bestegui » (donné le 3 septembre 1951 dans le Palazzo Labia de Venise) remplaçant avec bonheur l'épisode du Cours de La Reine, occasion pleine d'à-propos de faire valoir les splendides costumes de Clémence Pernoud et les chorégraphies plus mitigées de Jean-François Kessler, tandis qu'en parfaite opposition, l'austère chapelle de l'église Saint-Sulpice, avec ses reproductions de tableaux de Delacroix, confère au duo des retrouvailles, une intimité chargée d'une indéniable émotion. La direction d'acteurs est dans l'ensemble assez pertinente, bien que l'acte I semble parfois un rien statique.

Mais cette reprise vaut surtout par sa distribution vocale. À commencer par la soprano qui assure cette année la totalité des représentations : la présence scénique est irréprochable qui nous fait vivre intensément le douloureux parcours de Manon depuis le sage « Je suis toute étourdie », le virtuose « Je marche sur tous les chemins » jusqu'au pathétique duo des adieux. Le timbre est clair, la ligne de chant délicate et élégante, les vocalises parfaitement assumées, le legato sublime, l'ambitus large avec des graves bien timbrés et le souffle infini, diction et prosodie étant à l'avenant. Face à elle, poursuit son époustouflant parcours à l'Opéra de Paris (Capriccio, La Bohême, la Traviata, Manon, Faust, Roméo et Juliette et les Contes d'Hofmann) avec un Chevalier des Grieux idéal par le jeu comme par le chant. Le timbre est d'une confondante douceur, homogène dans tous les registres, d'une lumineuse clarté dans l'aigu avec un legato très émouvant, donnant toute sa superbe dans un « En fermant les yeux » à vous tirer les larmes, porté par une diction irréprochable. Théâtralement convaincant, Andrzej Filonczyk, campe malheureusement un Lescaut dont le baryton manque singulièrement de projection, pâtissant qui plus est d'une diction pour le moins absconse. , avec sa basse bien timbrée, incarne un Comte autoritaire, noble, qui sait se montrer tendre et protecteur. Régis Mengus (Brétigny) et (Morfontaine) tous deux bien chantants incarnent deux fêtards travestis et désinvoltes, tandis que les trois courtisanes (, et Maria Warenberg), toutes d'humour et de fantaisie complètent cette belle distribution, sans oublier, bien sur, l'impeccable Chœur de l'OnP.

Dans la fosse, , récemment nommé directeur musical de l'Opéra de Rouen-Normandie, mène l'orchestre de l'OnP avec précision, clarté et force nuances rythmiques (certains tempi surprennent par leur lenteur un rien excessive) accompagnant les chanteurs dans un équilibre souverain et exaltant avec justesse la dramaturgie.

Crédits photographiques : © Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

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