En tournée pour présenter leur transcription des Variations Goldberg, les quatre musiciens de Nevermind avaient prévu une étape à Paris.
Il y a des signes qui ne trompent pas : les longs applaudissements à la fin du concert, les saluts chaleureux, l'absence de bis bien acceptée, et davantage encore le long silence qui a suivi le dernier accord, disent à quel point les quatre musiciens ont su capter toute l'attention du public et le combler.
Comme dans le disque récemment paru, l'Ensemble Nevermind présente une transcription des Variations Goldberg avec les reprises, sans précipitation (une centaine de minutes), et sans véritable accent de folie. Mais ces options lui permettent d'explorer sereinement la partition en la traitant un peu à la manière d'un recueil de musique de chambre dont il s'agit de trouver, pour chaque variation, la meilleure instrumentation et le caractère le plus approprié. Ainsi dans l'Aria introductive, on est dans un premier mouvement de quatuor, où les musiciens prennent le temps d'exposer toute la complexité de la musique et les subtilités du contrepoint. La Variation 1 est un trio de cordes qui fait penser à une sonate italienne, tandis que la Variation 8, avec les trois mêmes mais l'orgue positif à la place du clavecin, nous amène plutôt vers une musique d'église du XVIIe siècle, teintée de stylus phantasticus. Avec la Variation 14 et les triolets qui passent de la viole au violon puis à la flûte, on se croirait un peu chez Telemann, mais avec la Variation 16 on est sans aucun doute dans une ouverture à la française qui justifie de faire résonner les instruments comme s'ils constituaient un petit orchestre. On pourrait multiplier ainsi les exemples à loisir. Du duo au quatuor, en faisant entrer un instrument à la reprise, en passant du clavecin à l'orgue, en variant les caractères…, les musiciens de Nevermind font éclater toute la variété des potentialités contenues dans la partition originelle pour clavier.
Dans le vaste espace de la Salle des concerts, tous les numéros ne passent pas aussi bien, du moins hors des premiers rangs, mais la flûte d'Anna Besson reste toujours audible dans toute sa finesse et sa beauté mélodique. On admire, chez elle comme chez Louis Creac'h au violon, la facilité et l'à-propos avec lesquels elle ose les ornements, et la cohésion avec le reste de l'ensemble. Robin Pharo à la viole de gambe, placé sur un podium, a tantôt une partie propre et tantôt double le clavier. Le son est superbe et l'articulation finement pensée et exécutée. Jean Rondeau quant à lui est debout comme ses deux compères des dessus, avec le clavecin placé par-dessus l'orgue positif pour pouvoir passer facilement de l'un à l'autre. Bien qu'ayant enregistré et beaucoup joué l'œuvre, il ne cherche pas du tout à attirer la lumière, et ne s'est réservé aucune variation pour le clavier seul. Il est entièrement au service d'un collectif que l'on est heureux de retrouver dans ce projet qui montre de manière convaincante qu'on n'a jamais fini d'adapter la musique de Johann Sebastian Bach.