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Hans van Manen, facettes d’un classique à Stuttgart

Les cinq pièces présentées sont un peu inégales, mais elles mettent remarquablement en valeur les étoiles de la troupe du Ballet de Stuttgart.

Représentant presque un demi-siècle de création, le programme de cette double représentation de l'Ascension remet sur le devant de la scène un chorégraphe associé depuis longtemps au Ballet de Stuttgart : toutes ces pièces de étaient déjà au répertoire de la troupe, mais il faut dire qu'on les avait un peu oubliées.

La soirée commence par Adagio Hammerklavier, une pièce certainement gratifiante pour les trois couples de danseurs qui y sont distribués. Le mouvement éponyme de Beethoven est joué en version ralentie dans la fosse (et la pianiste Olga Khoziainova réussit dans ces conditions à garder le fil musical, ce qui n'est pas donné à tout le monde) ; ce ballet blanc créé en 1973 est encore dans le sillage de Balanchine, tout en s'en démarquant par de constants pas de côté (les hommes torse nu et chaîne au cou n'en sont qu'un exemple un peu anecdotique). On n'en est plus, heureusement, au triomphe de la femme-objet qui est le propos constant de Balanchine, mais le couple homme-femme est encore le fondement de la chorégraphie, pour ne pas dire son propos, et c'est un peu désuet. On peut y admirer l'élégance des danseurs de la troupe, comme ou , mais la suite du programme leur offre amplement l'occasion de montrer qu'ils savent faire bien mieux.

Après un premier entracte, le programme enchaîne trois courts ballets très différents : Two Pieces for Het, créées comme leur nom l'indique pour Het Nationale Ballet, la troupe nationale des Pays-Bas, sont en complet contraste avec ce qui précède, pas seulement parce que les costumes et le fond de scène sont noirs. Le soir, et Martí Paixà se défendent honorablement dans ce face à face tout sauf pacifique entre étoile masculine et étoile féminine – chacun montrant ses muscles et sa virtuosité avant un partenariat orageux. Mais la représentation de l'après-midi offrait aux côtés d' la présence unique de : dans cette pièce plus sombre, moins humoristique que ce que son point de départ laisse penser, Vogel occupe la scène avec une évidence qui coupe le souffle, et le personnage qu'il esquisse apparaît à la fois inquiétant et inquiet. L'affrontement, cependant, n'est pas si inégal qu'on pourrait le croire : sa partenaire n'a pas froid aux yeux, que ce soit dans la chorégraphie ou dans l'interprétation de Badenes, cygne noir bien décidé à ne pas se laisser abattre.

Les Trois gnossiennes qui suivent sont un peu plus légères, et la disparité entre les deux distributions du jour est moins radicale. Cette fois, c'est la représentation du soir qui affiche le duo Badenes/Vogel : la manière dont sculpte l'espace sans effort et sans afféterie est toujours un spectacle en soi ; de représentation en représentation, on peut constater qu' est sur la même voie, celle qui transforme une interprète efficace en une étoile non pas seulement par le titre, mais par le rayonnement, par cette capacité de donner toute une vie intérieure à chaque geste. L'après-midi, c'était et Martí Paixà qui avaient présenté la pièce : eux aussi avaient su faire voir ce jeu subtil et intense des regards, des interactions même quand le contact est refusé, ce qui est le propre de l'œuvre de van Manen.

Avant l'entracte, Solo affiche trois danseurs hommes dans un court moment de virtuosité pleine d'humour : la pièce est parfaitement adaptée au talent des danseurs de la troupe, qui savent que leur travail n'est pas que de faire des pas. Il n'y a aucune narration, aucune incarnation de personnage, mais chacun des danseurs à l'œuvre dans cette pièce vient avec sa propre personnalité et a l'occasion de la faire voir au public en une belle carte de visite pour les solistes masculins de la troupe. L'humour d' trouve particulièrement à s'y employer, mais ses collègues apportent chacun leur touche personnelle avec efficacité.

Le programme s'achève avec une pièce de 2005 beaucoup plus sombre, par la couleur du fond de scène et des costumes, par l'atmosphère musicale des Frank Bridge Variations dédiées par Britten à son maître. La pièce reçoit moins d'applaudissements que les quatre précédentes, ce qui est un peu injuste pour ses qualités chorégraphiques et ses interprètes, deux couples et un corps de ballet de six membres qui fait beaucoup mieux que de la figuration. L'après-midi, montre qu'au-delà de ses muscles et de sa présence scénique il a conservé sa technique raffinée et son sens du partenariat, aux côtés d'une qui ne sacrifie jamais l'expression et la poésie à la performance technique ; le soir, c'est et qui retiennent le plus notre attention. Tous, cependant, contribuent à l'émotion, dans une pièce qui rappelle la grande qualité de l'œuvre de , celle de mettre en valeur chacun de ses interprètes dans ce qu'il a de meilleur.

Crédits photographiques : Vogel, Badenes dans Trois Gnossiennes ; Reilly/Osadcenko dans Frank Bridge Variations © Roman Novitzky /

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