Le premier album de la mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek, Gracias a la vida, s'affranchit, avec succès, des codes de la musique classique ou de variété pour que l'art vocal de la chanteuse lyrique ne soit à aucun moment catalogué. Une réussite !
Notre approche musicale en France a régulièrement cherché à cantonner musiques, danses, chanteurs dans un répertoire, un style, un langage « majeur » ou « mineur », une musique « savante » ou « populaire », voire « folklorique »… Pourtant, tout au long de l'histoire passée et actuelle de la création musicale de notre pays, nombre d'artistes se sont émancipés de ce cadre pour exprimer leur singularité, mais surtout la diversité et la richesse de l'âme humaine que nous partageons tous. Le Gracias a la vida de la mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek est un parfait exemple d'éclectisme rayonnant, dont la cohérence toute naturelle fait que l'auditeur franchit allégrement les « ponts » que l'artiste lui propose.
Peu importe la langue (anglais, espagnol, français, anglais, allemand, italien), l'époque (à part l'aria du Cherubino « Voi che sapete » de Mozart, toutes les pièces datent d'après 1875 jusqu'à nos jours), le genre (zarzuela, opéra, chanson de variété, lied ou mélodie), ou les écritures musicales, de Messiaen, Strauss à Michel Polnareff… Les arrangements inédits pour la guitare de Pierre Laniau et le piano de Federico Tibone libèrent les deux musiciens de toute catégorisation, à l'image de leur propre instrument, et mettent en lumière les analogies et voyages que l'instigatrice de ce récital expose de manière particulièrement convaincante dans sa note de présentation.
Ceux qui ont suivi le concours du Gala de la voix en janvier dernier, dans lequel Anne-Lise Polchlopek a obtenu le premier prix, retrouveront l'énergie débordante de l'interprète dans un brillant air de la Old Lady de Candide (« I am easily assimilated »). La chanteuse sait déployer avec une vivacité percutante un panel d'effets et d'affects (Canto Negro n°5 de Xavier Montsalvatge) et une armada d'intentions justes et virtuoses. Les consonnances hispaniques, Espagne où la jeune femme a vécu quelques années, offrent un terreau fertile à l'affirmation d'un tempérament assuré (Gracias à la vida de Violeta Parra). Fort d'une diction et d'une maîtrise de la langue sans faille (La tarantula e un bicho mu malo extrait de la zarzuela La Tempranica de Gerónimo Giménez), le beau timbre d'Anne-Lise Polchlopek se déploie pour défendre avec la même conviction des pages très célèbres de la musique dite « populaire » (La Chanson des vieux amants de Jacques Brel) ou « savante » (L'amour est un oiseau rebelle de Georges Bizet), comme des pièces plus confidentielles de musiciens plus (Wiegenlied de Richard Strauss) ou moins (Bonjour mon cœur de Pauline Viardot) connus.