L'ouvrage scénique n'avait pas été repris depuis sa création en 2012 au Théâtre de la Renaissance à Oullins. Espèce d'espaces de Philippe Hurel était donné sur la scène du T2G de Gennevilliers dans le cadre de ManiFeste.
Séduit par le texte foisonnant de Georges Perec, Philippe Hurel a rédigé lui-même le livret d'Espèces d'Espaces d'après l'ouvrage éponyme de l'auteur dont le sous-titre est tentative d'épuisement d'un lieu parisien. Sont convoqués sur la scène un comédien (épatant Jean Chaize) et une soprano, la sémillante Élise Chauvin rompue aux exigences scéniques et dont l'aisance vocale dans tous les registres n'a d'égale que sa verve de comédienne. Tous deux étaient déjà sur scène à la création.
Le texte de Perec, mené jusqu'à l'épuisement, regorge de descriptions, énumérations, récits… un déferlement de mots que l'on aime assurément. Perec ouvre toujours plus grand l'espace d'investigation, de la page blanche à la description du lit, de la chambre, de l'immeuble, de la ville… curiosité scientifique, calculs et interrogations en tous genres frôlant parfois la mélancolie (cette chanson triste à l'accordéon) voire l'horreur lorsqu'il est question des limites arborées des camps de concentration : beaucoup de texte donc pour l'exiguïté de la scène lyrique mais ce débordement est inhérent à la beauté du geste perecquien.
Le dedans et le dehors
Le rythme scénique est soutenu, dans une première partie à haute tension ménageant ruptures et contrastes, entre des moments de théâtre pur où les deux protagonistes jouent la comédie et des bouffées de lyrisme lorsque Élise Chauvin se met à chanter, soutenue par l'orchestre. La musique éruptive et pulsée de Philippe Hurel est à l'image de la ligne vocale escarpée de la soprano (que les instruments doublent parfois), tandis que les mots du comédien s'entendent en filigrane au sein d'une polyphonie dense qui, le plus souvent, coupe court. Des haut-parleurs nous parvient à plusieurs reprises une voix off, plus posée et profonde, qui creuse le récit tandis que la partie électronique de sons fixés (technique Ircam), bruits de nature et autres paysages sonores, nous propulse au dehors. Le compositeur réserve au comédien quelques très beaux monologues qui s'inscrivent sur les trames colorées de l'orchestre et étirent quelque peu le temps de la parole pour en modifier l'espace.
Les instrumentistes de Court-Circuit en grande forme sont installés sur des praticables à jardin, dirigés, de loin et avec une égale énergie, par leur chef Jean Deroyer, sur scène lui aussi. Un panneau de tulle blanc circule sur le plateau pour en modifier les espaces ou engendrer de nouvelles perspectives ; la vidéo d'Evi Kalessis projetée sur l'écran de fond de scène crée de l'animation tout comme les lumières suggestives de Ruben Trouillet. La mise en scène d'Alexis Forestier est économe, jouant sur quelques éléments mobiles de scénographie et soignant tout particulièrement la direction d'acteurs. Si la seconde partie du spectacle souffre de quelques longueurs, les deux interprètes mettent toute leur énergie et leur talent pour incarner le verbe perecquien et donner sa pleine vitalité à ce beau moment de théâtre musical.
Crédit photographique : © ManiFeste-Ircam
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