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Vie de château pour le Quatuor Belcea à Ludwigsburg

Dans le cadre fastueux d'une vaste résidence princière, les musiciens menés par Corina Belcea s'imposent par leur vision décidée et ample des quatuors de Britten et de Beethoven.

Il n'y a plus de rois en Wurtemberg depuis 1918, mais il y a encore leur trône : dans la fastueuse salle construite à partir de 1708 pour l'ordre de chevalerie créé par le duc Eberhard Ludwig, son successeur Friedrich, le premier à porter le titre royal, a fait installer un trône. On ne peut imaginer cadre plus fastueux que cette salle d'apparat, utilisée régulièrement par le festival du Château de Ludwigsburg pour y accueillir sa programmation de musique de chambre (les plus vastes formations bénéficient d'une grande salle moderne à quelques pas du château).

Même fastueuse, la salle reste de dimensions modestes et peut par conséquent accueillir aisément le programme intense et intime que vient y présenter le : Mozart, après tout, aurait pu présenter son art dans cette même salle. Il faut dire que les quatre musiciens ne s'y montrent pas particulièrement à l'aise : il n'y a guère de place dans leur interprétation pour la poésie sonore, pour la retenue pudique, pour cette consistance impalpable du son qui donne à la musique de chambre mozartienne cette hauteur de vue et cette délicatesse émotionnelle qui la rendent unique. C'était déjà un peu le cas dans l'enregistrement qu'ils en ont fait il y a vingt ans (leur seul disque mozartien), mais la tendance est encore plus accentuée ici. Il n'est certes pas interdit de choisir une interprétation plus directe de cette partition, mais on n'en voit pas bien le profit ici ; et la manière dont Corina Belcea expédie la mélodie qui ouvre le finale illustre bien la rencontre ratée entre musiciens et partition.

Les qualités de la violoniste, âme du quatuor qu'elle anime depuis plus de trente ans avec de nombreux partenaires successifs, ne sont pour autant pas remises en cause, comme le montre la suite du programme. La modernité tempérée du troisième quatuor de Britten leur est visiblement beaucoup plus familière que le classicisme viennois, et Corina Belcea y a bien des occasions de montrer ses qualités, à la fois comme soliste (à commencer par le solo du troisième mouvement) et comme animatrice du dialogue instrumental : on le sent bien, le premier violon joue toujours autant son rôle directeur, loin des formations pour lesquelles la fusion des timbres finit par être plus importante que le dialogue (par exemple dans les ensembles où les deux violonistes alternent dans le rôle de premier violon) ; mais ce premier plan assumé n'est pas au détriment des autres musiciens, qui n'ont pas peur de s'affirmer quand il le faut – et décidément la seconde violoniste, Suyeon Kang, dernière arrivée de l'ensemble (en 2022), a parfaitement réussi son intégration.

La seconde partie du concert est elle aussi consacrée à un point fort du répertoire de l'ensemble, avec le quatuor op. 131 de Beethoven. Là non plus, l'interprétation des Belcea ne cherche pas à atteindre les hautes sphères éthérées de l'intimité chambriste. Cette vision vivante et terrienne, soutenue par la qualité sonore de chacun des musiciens, est ici irrésistible : ce qui, dans leur interprétation de Mozart, laissait désirer en termes d'expressivité est parfaitement à sa place dans cette musique. Les interprètes dessinent les lignes avec vigueur, et l'insatiable inventivité formelle de Beethoven s'en trouve magnifiée. Cela n'empêche pas, naturellement, l'émotion là où elle a sa place, dans un mouvement lent d'une simplicité sans concession par exemple, sans négliger pour autant la danse malicieuse du cinquième mouvement.

Crédits photographique : © Reiner Pfisterer

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