L'Abbaye aux Dames accueille chaque été le festival de la ville de Saintes placé pour deux années sous la houlette de la violoncelliste Ophélie Gaillard. Comme chaque année, le festival propose des découvertes en dehors des sentiers battus et des thématiques de concerts qui apportent un regard nouveau et quelques surprises. Morceaux choisis.
L'Abbaye aux Dames de Saintes est au centre du festival et constitue un cadre lumineux et méditatif propice à une écoute attentive pour les pèlerins de la musique que sont les festivaliers (soulignons la qualité du public de Saintes, curieux, respectueux et attentif) qui seront toutefois amenés à sortir de l'enclos pour se rendre à la cathédrale ou à la Cité entrepreneuriale.
La Sensible ou les cercles de la vie
Notre pérégrination musicale débute avec l'ensemble La Sensible qui propose une évocation des cycles des tourments et joies de la vie à travers un voyage musical autour du rondeau, de la ritournelle et de la passacaille baroque en Italie, en Espagne et en France, mêlé de chants traditionnels latino-américains et de danses.
Malgré une présentation timide (barrière de la langue sans doute) et un fil conducteur un peu artificiel, l'ensemble La Surprise témoigne d'une polyvalence exceptionnelle, chaque protagoniste ayant plus d'une corde à son arc. En effet, entre deux tours de chants, la soprano Helena Bregar exécute magnifiquement les danses traditionnelles ou Renaissance et les instrumentistes chantent avec entrain en accompagnement, montrant de belles interactions et apportant finalement à la narration de belles évocations de l'universalité de la musique, que l'on soit de la cour ou des champs.
Helena Bregar, qui dirige également l'ensemble, surprend par sa maitrise de techniques de chants différentes, lyrique et traditionnelle. Aussi à l'aise dans l'air de cour français de Robert de Visée que dans les chants traditionnels mexicains, elle donne beaucoup de grâce à ces répertoires auxquels elle sait apporter des impulsions et un tempérament différent. Ses comparses lui déploient un très bel écrin musical (théorbe, guitare et nombreux instruments de percussion parfois insolites) dans un voyage immobile mais dépaysant !
Une célébration du Café Zimmerman avec la famille Bach
A l'Abbaye aux Dames, l'ensemble Les Surprises dirigé par Louis-Noël Bestion de Camboulas propose une évocation du Café Zimmerman qui a été le témoin du foisonnement musical qui régnait dans la vie de la famille Bach (élèves inclus) autour des années 1730 à Leipzig à travers différentes formes musicales comme le concerto, la sonate, les cantates profane et sacrée et la symphonie.
Cette évocation ménage les contrastes nécessaires aux différents univers convoqués ici et on ne sait qu'admirer le plus dans ces rivages : la légèreté et le pétillement du concerto pour clavecin proposé en ouverture de concert et dont les trois mouvements sont de la main de CPE, Wilhem et Jean-Sébastien ? La vivacité et le scintillement du clavecin dans la sonate ? Ou la virtuosité de la symphonie qui clôt le concert ?
Entretemps, Marc Mauillon aura subjugué avec des extraits de cantates profanes et sacrées avec notamment le fameux « Bist du bei mir » de Georg Stöelzel. La voix envoutante et reconnaissable entre mille du baryton résume un paradoxe d'expressivité et d'intériorité très difficile à atteindre.
L'ensemble réussit en outre à parfaitement communiquer au public l'émulation, la joie et le plaisir de jouer qui devait régner dans cette famille et les lieux qu'elle a habité de son talent. Le concert constitue un panorama musical fascinant entre pastiches des pairs et créations intrinsèques à la famille.
Sarbacanes ou la virtuosité du basson et du hautbois
Le matin, à l'auditorium de l'abbaye, le public vient se délecter des prouesses pyrotechniques de l'ensemble Sarbacanes (fondé en 2016) qui réunit deux hautbois et un basson baroques accompagnés par le clavecin et le violon.
A travers un ensemble de sonates, il nous propose d'aller à la rencontre de compositeurs très connus (Vivaldi et Telemann) et moins connus (Fasch et Zelenka). Très à l'aise avec le public, les deux hautboïstes, Gabriel Pidoux et Neven Lesage donnent des clefs d'écoute du programme avec beaucoup d'humour.
Après une sonate forcément virtuose de Vivaldi, c'est la découverte d'une pièce attribuée à Califano où le basson, joué par l'excellent Alejandro Pérez Marin, tient le premier rôle. La virtuosité reste à l'honneur dans la sonate de Fasch avant le plat de résistance que constitue l'imposante sonate de Zelenka, alternant un refrain aux influences populaires dans le premier allegro, un superbe adagio aux accents plus sombres avant le concours de pyrotechnie du basson et des deux hautbois dans le dernier mouvement. Spectaculaire, cette sonate emporte l'enthousiasme du public qui se voit gratifié en bis d'une pièce virtuose de Vivaldi. Ce concert très percutant a le mérite de nous rappeler que la pyrotechnie n'est pas qu'affaire de voix.
Une grande messe de la Renaissance italienne par Le Concert Spirituel
Pour le concert du soir à la cathédrale de Saintes, Hervé Niquet et son Concert Spirituel nous invitent à la découverte de la polyphonie et de l'art du contrepoint à la cour des Médicis de la fin du XVIème siècle à travers la messe à 40 voix d'Alessandro Striggio (1536-1592),principal compositeur de la cour
Afin de réaliser une mise en perspective, Hervé Niquet a choisi de reconstituer une messe, telle qu'elle aurait pu être donnée en la cathédrale de Florence. Le concert début donc par une sonnerie de cloche et l'introduction d'une procession dont on perçoit la progression dans l'église. Aux extraits de la messe à 40 voix sont ajoutées des pièces de Corteccia et Palestrina mais aussi de compositeurs plus tardifs comme Orazio Benevolo (1605-1672) offrant ainsi un panorama de l'art polyphonique et du contrepoint de la Renaissance flamboyante des Médicis à l'ère baroque romaine.
Le résultat est stupéfiant et assez magique. Au-delà de la redécouverte de sonorités encore trop peu connues issues d'instruments comme les sacqueboutes, les cornets et les dulcianes, on reste pantois devant l'écriture virtuose de ces pages qui pour être religieuses n'en sont pas moins porteuse d'une pure sensualité. L'élégance de l'entrelacement des lignes de chants qui montent et redescendent dans la nef de la cathédrale offrent un moment d'éblouissement assez rare dans un concert où même le positionnement du chef au milieu du chœur et de son Concert Spirituel participe du spectacle comme lors de son Gloria de Vivaldi l'année dernière.