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Correspondance d’Olivier Greif et du Père Jean Claire à Solesmes

À l'occasion des 25 ans de la disparition d', l'abbaye de Solesmes publie une riche et étonnante correspondance de 25 ans entre et le moine bénédictin Dom Jean Claire, maitre de choeur et spécialiste de la musique grégorienne. 

Le titre de cette correspondance « Le moine et le compositeur : une rencontre improbable » est à la fois bien trouvé et dans une erreur profonde. Du point de vue du mélomane, de l'individu dans la cité, certainement on ne peut imaginer qu'une telle relation ait pu exister entre ces deux hommes. Mais du point de vue de ces deux hommes, au regard de leur recherche de vie, cette rencontre était inévitable, comme deux aimants s'attirent l'un à l'autre.

Le père Jean Claire était déjà apparu dans le Journal d'Olivier Greif édité partiellement par son frère Jean-Jacques en 2019, mais les près de 300 pages de la correspondance qui est révélée par cette publication donnent à cette relation une ampleur insoupçonnée. Quel pouvait être le point commun entre d'une part le religieux reconnu pour ses enregistrements de messes et vêpres avec le chœur des moines de l'abbaye de Solesmes pour DECCA, également en charge de la Revue grégorienne, et d'autre part le compositeur de 30 ans son cadet, d'ascendance juive qui disait ressentir « également toutes les souffrances infligées à tous les peuples », qui cherchait de sa musique « qu'elle inonde [l'auditeur], qu'elle le frappe, qu'elle le chavire en ses flots » et qui cherchait sa voie dans la spiritualité hindoue ? La réponse est l'accord spirituel entre ces deux hommes, si profond que les manifestations différentes entre eux de cette spiritualité ne troubleront jamais leur amitié. Comme l'écrit en 1983, « Nous sommes unis à la source. À quoi bon se séparer à l'estuaire ? ». 

Greif dénonçait comme nombre de nos contemporains « le matérialisme, le mercantilisme, la cupidité, une bêtise avilissante, une négation totale de la dimension spirituelle de l'être humain ». Son souhait formulé en 1995 d'un renversement « au sens littéral » des valeurs de notre société est plus que jamais d'une brûlante actualité en 2025, à l'heure où la géopolitique se joue à coup de « deals » marchands et où les algorithmes nous enferment en ligne dans des contenus et avec des personnes qui nous ressemblent. Quand on referme cette correspondance, outre le mot du billet interpellant et éclairant envoyé par Dom Jean Claire à Jean-Jacques Greif après la mort de son frère (et dont on aura garde de révéler le contenu ici), on retient une extra-ordinaire (littéralement) ouverture de ces deux êtres à l'autre, aux autres, une capacité à dépasser la diversité d'expression et d'incarnation pour s'attacher à l'essentiel, on pourrait écrire à l'Essentiel.

Leur correspondance dure 25 ans et perdure durant la quinzaine d'années d'implication de Greif dans la communauté spirituelle du « peut-être faux maître » Sri Chinmoy. Un engagement qui éloigne Greif de la composition pendant dix ans. Alors qu'on aurait volontiers imaginé le moine indigné ou au moins refroidi par cette quête que d'aucuns ressentiraient comme ésotérique, le père Jean Claire reste attentif et amical. Ce qui les unit reste plus fort que ce qui les différencie.

Ce n'est pas le moindre mérite de cette publication, outre sa qualité intellectuelle et spirituelle propre, que de lever le voile sur cette période de silence compositionnel d'Olivier Greif, et de faire prendre conscience que le compositeur ne s'y est pas perdu en tant qu'homme, même si Guru (comme Sri Chinmoy se faisait appeler) n'était pas le guide que Greif aurait mérité de rencontrer. Berlioz disait que l'amour et la musique sont les deux ailes de l'âme. Pour Olivier Greif et Dom Jean Claire, certainement ces trois composantes que sont l'amour pour l'autre (dans toute sa diversité), la spiritualité et son incarnation par la musique, atteignent un niveau de développement exceptionnel.

Un élément est révélateur de la portée de cette correspondance : elle est désormais entièrement conservée à l'Abbaye de Solesmes. Une forme d'entrée dans l'éternité.

Le Journal d'Olivier Greif, une vie avec cinquante ans d'avance

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