- ResMusica - https://www.resmusica.com -

De l’audace et des raretés aux 15e Musique en chemin à La Romieu

Fidèle à sa tradition d'exigence musicale, d'audace dans la programmation et à la convivialité, si chère aux Gascons, le festival Musique en Chemin a connu une quinzième édition flamboyante.

Mieux que la fausse légende des chats, qui enfume les touristes depuis vingt-cinq ans, l'ancienne sauveté médiévale de La Romieu, entre Lomagne et Ténarèze, écrit une nouvelle épopée artistique et musicale avec son festival Musique en chemin, qui associe musiques anciennes et contemporaines.

Aux sources du baroque allemand

Dès le jeudi soir, la collégiale en pleine restauration, qui porte vaillamment ses 700 ans, est comble pour le nouveau programme de l'ensemble avec son « atelier », le chœur Ambrosia. Le programme structuré autour des Israelis Brunnlein (Les Fontaines d'Israël) de Johann Herman Schein, associé à quelques motets d', n'a pourtant rien de facile. Cantor à Saint Thomas de Leipzig un siècle avant JS Bach, Johann a élaboré une œuvre de dix volumes édités qui constitue un monument du début de l'ère baroque en Allemagne. Aussi habile dans les genres instrumentaux que vocaux, profane ou sacré, il est l'un des premiers en Allemagne à s'inspirer largement des nouveautés venues d'Italie, comme le madrigal.

Le recueil Israelis Brunnlein édité en 1623, se compose de vingt-six motets à cinq voix et basse continue où son sens poussé de la poésie s'attache à exprimer la prosodie du texte allemand extrait de l'Ancien Testament. Avec sa précision vocale coutumière et un respect absolu de la prosodie, La Main Harmonique, dirigée par , a choisi d'interpréter dix-sept motets du recueil, en y intercalant quelques motets en solo, en duo ou à grand chœur d', grand ami de Schein. On apprécie notamment le délicieux O süsser, O freudlicher, extrait des Kleine Geschichte Konzerte, par le ténor , ainsi que le sublime duo O Lieber Herre Gott extrait du fameux Musikalische exequien par les sopranos et .

Telemann ce célèbre inconnu

Le vendredi, le cloître de la collégiale accueille l'ensemble et sa prolongation japonaise , habitués de Musique en chemin depuis les premières années.

Compositeur prolifique, célébrissime à son époque dans l'Europe entière, fut oublié par la suite. Il a pourtant touché à tous les domaines musicaux, la sonate, les concertos, la musique sacré ou l'opéra. Son immense production (environ 6 000 œuvres) et sa facilité à composer lui valurent par la suite une réputation de faiseur, mais s'il a su pratiquer et s'adapter aux évolutions de son temps, son art est plus savant qu'il n'y paraît.

Leur concert théâtralisé parcoure une partie de la musique de chambre de Telemann avec des extraits de Trios avec clavecin obligé, des Quatuors et des fameux Nouveaux Quatuors parisiens, sans oublier des Fantaisies mettant en valeur tour à tour le violon, la flûte à bec, la viole de gambe et le clavecin. Ce musicien caméléon ayant embrassé tous les styles de son époque, il est évidemment comparé à Corelli avec ses Sonates corellisantes, ainsi qu'à François Couperin, avec ses Nouveaux Quatuors. Les flûtes de font merveille, tandis que la viole virtuose de est éblouissante, le violon de virevoltant et le continuo au clavecin et à l'orgue positif de et ne s'interdit pas de superbes moments solistes.

Bach à la viole, rare et intime

Le lendemain, en milieu de journée, la violiste et le claviériste Mathieu Boutineau se retrouvent à la toute nouvelle salle du Carrelot, pour interpréter les trois Sonates pour viole de gambe et clavecin de JS Bach.

On a longtemps cru que ces trois œuvres dataient de la jeunesse de Bach à Köthen, mais la musicologie moderne les situe plutôt au début des années 40 du XVIIIe siècle, soit la pleine maturité de la vie créatrice du Cantor. Rarement jouées, ces sonates ont longtemps souffert d'un regard condescendant des musicologues parce qu'elles ne seraient pas des œuvres « originales », mais auraient été initialement composées pour deux flûtes ou pour violon et basse continue. Au-delà « d'arrangements », il s'agit d'œuvres transformées de la main de Bach, comme il l'a fait souvent avec de nombreuses partitions. Le clavecin est conçu comme un instrument concertant, parfois davantage que la viole de gambe, particulièrement dans la première sonate en do majeur. Le clavier rassemble la partie du continuo pour la main gauche et celle de la première flûte pour la main droite. Elles offrent aux interprètes une grande variété de possibilités stylistiques. et Mathieu Boutineau s'épanouissent pleinement dans cette musique savante extrêmement élaborée, qu'ils interprètent avec un plaisir visible, selon une grande complicité.

, un phénomène de l'improvisation

Le festival s'achève le samedi soir, à nouveau dans le cloître de la collégiale, avec . Initialement pianiste de jazz et improvisateur né, ce petit-fils du chef Jean-Claude Casadessus est également un concertiste classique de haut vol.

Avec ce passionnant programme « Mozart Paradox », il avoue être quelque peu schizophrène en mêlant les thèmes et ses propres improvisations, mais il le fait avec grand bonheur. Par exemple, il part du célèbre air de Don Giovanni,  Laci darem la mano pour s'en évader, et parfois pour tout-à-fait autre-chose pour revenir à Mozart. Il accentue encore le côté dramatique de l'ouverture de Don Giovanni, laissant par côté le giocoso. Il utilise les pièces de Mozart comme des standards de jazz et ornemente comme s'il orchestrait le thème. C'est étonnant et réjouissant. Même s'il vaut mieux connaître un peu son Mozart, on s'amuse à reconnaître les thèmes ou les œuvres de Wolfgang.

Parti piano, il retombe sur l'Ave Verum Corpus de façon très méditative, avant de prendre le Kyrie de la Grande messe en ut, KV 427 très dansant et vif sur des rythmes à cinq et quatre temps. La Marche des prêtres de La Flûte enchantée, prise à trois temps, devient une valse swing. Enfin, la Sonate n° 11 KV 331 dévie vers le Lacrymosa du Requiem pour s'achever dans le silence.

Crédit photos : © Alain Huc de Vaubert – ResMusica

(Visited 33 times, 1 visits today)
Partager