Tradition demeure : la soirée d'orchestre inaugurale de la 75ᵉ édition du festival Pablo Casals met à l'honneur le violoncelle, invitant sur la scène de l'Abbaye Saint Michel de Cuxa Gautier Capuçon au côté de l'Orchestre de chambre du festival, fondé et dirigé par Pierre Bleuse.
Ils sont jeunes et recrutés à l'international, dans les conservatoires supérieurs et hautes-écoles de Musique ; les musiciens viennent à Prades durant une dizaine de jours parfaire leur formation d'interprètes, dans les rangs de l'orchestre, encadrés par des mentors, et aux côtés de leurs partenaires chambristes lors des concerts « Jeunes talents & friends » programmés en matinée dans les nombreuses églises et autres lieux plus atypiques du Conflent.
Le violoncelliste et son « Matteo Goffriller » sont à l'affiche de cette première soirée à l'abbaye avec le Concerto pour violoncelle du Britannique Edward Elgar. L'œuvre est inscrite à son répertoire, qu'il aborde avec une maîtrise confondante, en parfaite complicité avec un orchestre qui ne peut être que galvanisé par la présence d'un tel artiste. L'alchimie opère, chez ce fabuleux musicien, entre une main gauche magistrale et l'aisance d'un archet éminemment conduit pour modeler un son qui n'appartient qu'à lui, avec ce grain chaleureux qu'entretient un vibrato toujours bien dosé et cette lumière rayonnante que dispensent ses aigus.
C'est le violoncelle, dans son registre profond, qui débute le concerto et capte d'emblée notre écoute, dans une introduction d'un lyrisme intense avant que les altos ne lancent le premier thème. La sonorité du soliste est souveraine, qui porte le chant toujours au-dessus du tutti ; pour autant, Gautier Capuçon est à l'écoute de l'orchestre avec qui le dialogue s'instaure et dont Pierre Bleuse, qui dirige ce soir sans partition, soigne l'équilibre. La rupture amenée par les pizzicati aussi sonores que dramatiques du violoncelliste crée la surprise au mitan du mouvement. La finesse incisive de son trémolo d'archet dans la dernière partie de l'Allegro molto s'accompagne d'un orchestre à la légèreté elfique. Gautier Capuçon laisse s'épanouir une ligne mélodique ample et gorgée d'émotion dans l'Adagio central où soliste et orchestre, en bonne entente, chantent et respirent ensemble. L'éloquence du violoncelle est à son comble dans la courte cadence qui fait revenir les mesures de l'introduction avant le Finale quasi rapsodique. Avec un geste généreux autant qu'expressif, engageant toute la souplesse du corps, Pierre Bleuse en épouse les méandres dramatiques dans la vivacité des échanges et les fluctuations des tempi.
Le bis avec orchestre n'est autre qu'El Cant dels ocells, « l'hymne à la paix » de Pablo Casals qui résonne au moins une fois lors de chaque édition du festival : il est joué ce soir dans le silence presque religieux de l'abbaye et l'écoute recueillie du public, avec une émotion toute particulière que l'on ressent au sein de l'orchestre comme sous l'archet du soliste.
Un rendu symphonique bluffant
L'orchestre du festival est par deux et les cordes en nombre réduit (deux contrebassistes seulement !) pour interpréter en seconde partie de concert la Symphonie n°4 de Tchaïkovski, un défi déjà relevé l'année précédente où la « Pathétique » du Russe résonnait avec bonheur dans les murs de l'abbaye.
Le thème du destin (le fatum) qui introduit la symphonie et qui hante tout le premier mouvement nous met d'emblée en confiance, sonnant haut et clair aux deux cors doublés par les bassons. Le discours bien nervuré laisse entendre l'excellence des bois au sein d'une écriture solistique et ciselée (clarinette, basson, flûte) d'autant mise en valeur que le pupitre des cordes est allégé. Pierre Bleuse modèle le son et les dynamiques au sein d'un discours un rien touffu mais bien conduit et d'une dramaturgie qui fait sens. Le solo de hautbois dans l'Andantino est remarquable (celui de Sébastien Giot, hautbois solo de l'Orchestre de Paris) qui introduit un deuxième mouvement tout en délicatesse et nostalgie, auquel font écho les solos de basson et de cor qui ne déméritent pas. Le Scherzo est un bijou, qui débute dans un doux frémissement, sous les pizzicati « leggerissimi » des cordes. Il met au défi les deux contrebasses dont la projection du son sidère ! Les traits lumineux des bois et du piccolo dans la partie centrale ravivent les couleurs et entretiennent l'énergie cinétique que Pierre Bleuse fait circuler dans tout le mouvement. Elle traverse également l'Allegro con fuoco joué « attacca », lancé par l'éclat des cymbales qui donnent le ton de la fête populaire voulue par le compositeur. Sur les murs de l'abbaye, la scénographie lumière accompagne la trajectoire dramaturgique de ce dernier mouvement où Tchaïkovski fait revenir le « fatum » (appel tragique des cuivres) avant de refaire toute la lumière dans les dernières minutes de la partition. Le Final file droit, avec le ferme soutien de la percussion, sous le geste galvanisant de Pierre Bleuse, entretenant sans faillir l'ampleur et la couleur du grand orchestre symphonique.
On retrouvera le chef et son orchestre dans le concert de clôture, le 8 août, où Berlioz, Debussy et Mozart sont à l'affiche.