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Deux plats exquis de musique anglaise : The Last Rose et Begin the Song

D'un raffinement exquis, ces deux albums pourtant fort différents parus chez Harmonia Mundi combleront les amateurs de musique anglaise du dix-septième siècle. « The Last Rose » met en valeur la viole de gambe de et à l'archiluth, tandis que Begin the song ! a pour maître d'œuvre le contre-ténor .

L'imagerie de l'Angleterre de la Restauration de la monarchie associait souvent la musique à la nourriture : « If music be the food of love », chantait-on déjà dans La Nuit des rois de Shakespeare. Les odes à Sainte-Cécile de la fin du dix-septième siècle, célébrations explicites de la sainte patronne de la musique (dont s'inspire en partie le programme du CD de ) s'achevaient d'ailleurs sur un banquet toujours fort apprécié du public et des exécutants. C'est ainsi à un double festin qu'est convié aujourd'hui le mélomane.

Le CD intitulé « The Last Rose », en hommage à la fois au symbole de la rose anglaise et à la chanson « ‘Tis the last rose of summer » sur lequel il se clôt, est le douzième de la série d'albums initiée par le programme « Stradivari : le grand instrumentarium » conduit depuis quelques années par le Musée de la Musique de Paris. Destiné à mettre en valeur deux chefs d'œuvre de la collection du Musée récemment remis en état de jeu, la basse de viole du luthier anglais John Pitts (1679) et l'archiluth du luthier Christoph Koch (1654), actif à Venise vers le milieu du dix-septième siècle, il construit un savant et alléchant programme autour de ces deux instruments. En plus de quelques classiques bien connus, dont la chanson « Greensleeves » ou le célèbre « Music for a while » de Purcell, il comporte des pages rarement entendues de la plume de compositeurs comme , John Playford, John Coprario, Tobias Hume, , , ou Benjamin Hely. On notera la présence de compositeurs italiens résidant à Londres, celle d'Allemands émigrés à Venise ou encore d'Anglais formés en Italie. Ce fascinant programme, à la croisée des influences française, allemande et italienne, permet également de faire entendre des inédits récemment exhumés à la Bibliothèque nationale de France grâce à la découverte d'un manuscrit ayant appartenu à un certain , violiste anglais catholique réfugié à Saint-Omer. Si le manuscrit contient quelques pièces anonymes, notamment de fort belles suites de danses jouées ici à la viole, à l'archiluth et au virginal, on y trouve aussi des pages d' lui-même, musicien qui avait pu bénéficier lors de ses années passées à Rome de la riche vie musicale de la capitale papale. Ses compositions, quoique portant le nom de martyrs romains particulièrement vénérés par les Jésuites, n'en sont pas moins de réels mouvements de danse qui tous marquent le caractère ambigu de pièces musicales de belle facture oscillant entre le profane et le sacré. L'auditeur n'aura aucun mal à se laisser envouter par ces pages qui savent aussi bien mêler sobriété et raffinement, intériorité et vivacité, recueillement et force de vie. Les remarquables instrumentistes ( et auxquels se mêle le claveciniste Ronan Khalil) sont rejoints pour quelques plages par le ténor Zachary Wilder, qui prête son instrument au timbre un peu sec mais à l'impeccable conduite pour une demi-douzaine de pièces vocales fort bienvenues. L'une d'elles, l'air « Music for a while » extrait de la pièce de John Dryden Oedipus mise en musique par Purcell, se retrouve sur l'album de Paul-Antoine Bénos-Djian.

Intitulé « Begin the song », le premier récital d'un de nos meilleurs contreténors français est un hommage appuyé à et aux compositeurs, plus jeunes ou plus âgés, qui ont côtoyé cette figure majeure de la musique anglaise. Deux pièces du programme, « So ceas'd the rival crew » de et « The Glory of the Arcadian Groves » de , ont d'ailleurs été écrites afin de célébrer le décès prématuré du musicien surnommé à juste titre l'« Orpheus britannicus ». À côté de quelques grands « tubes » de Purcell, les extraits bien connus de King Arthur et The Fairy Queen, certains airs tirés de différentes odes dont une à Sainte-Cécile ou encore le sublime air « O Solitude » autrefois immortalisé par Alfred Deller, on découvrira des pièces bien moins connues de certains contemporains comme John Eccles, ou un certain « Mr. Barrett ». Preuve de la vitalité musicale de cette période charnière de la vie anglaise où, après la fermeture des théâtres ordonnée par Cromwell à l'époque de l'Interrègne, le retour en Angleterre de la monarchie entraîna un regain d'activité musicale dans les domaines de la vie : la Cour, le théâtre, la salle de concert, la taverne… Aux délices de la programmation se joignent ceux de l'interprétation. On ne saurait rêver meilleure diction ou voix plus souple et plus onctueuse que celle de Pierre-Antoine Bénos-Djian, qui signe là un album marquant. Merveilleusement entouré, pour un duo chacun, par le contreténor Paul Figuier et par le baryton , il bénéficie également d'un accompagnement en tout point miraculeux. On y retrouve d'ailleurs, cette fois-ci au théorbe, , joueur de l'archiluth du précédent album. Avec Justin Taylor à l'orgue et au virginal, Théotime Langlois de Swarte et au violon, Hanna Salzenstein au violoncelle et à la viole de gambe, tous les éléments sont réunis pour une réussite qui devrait compter pour beaucoup dans la découverte de cet univers purcéllien qui recèle encore quelques sortilèges à faire connaître. Un disque qu'on a envie d'écouter en boucle et dont on ne devrait pas se lasser.

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