Élodie Vignon entame une nouvelle intégrale de l'œuvre pour piano de Claude Debussy, dans un jeu où la lisibilité a tendance, dans ce premier volet, à l'emporter sur le mystère et le rêve.
Pas facile de s'engager dans une nouvelle intégrale de l'œuvre pour piano de Claude Debussy, celui qui, selon Pierre Boulez, a ouvert la voie à la vraie modernité. La Française Élodie Vignon, après avoir débuté sa carrière en 2017 en enregistrant les Etudes, se lance courageusement dans l'aventure. En reprenant tout depuis le début, c'est-à-dire en choisissant l'ordre chronologique.
La pianiste ne prétend pas apporter quelque chose de « neuf » dans sa vision de Claude Debussy. « L'écriture de Debussy m'émerveille depuis toujours« , écrit-elle dans le livret de présentation. « Elle est à la fois charnelle et mélancolique, de par l'alliage savant de la tendresse et de la plus grande générosité, le temps suspendu comme par magie, la suggestion mystérieuse, et sa capacité hors normes à nous faire rêver« . Vision objective et juste, mais qui ne se traduit pas totalement dans son interprétation au disque, contrairement à son récital il y quatre mois aux Pianos Flagey Days.
Ce premier volume de l'intégrale « Monsieur Debussy« , intitulé « Soirs d'or« , court donc des premières pièces de jeunesse, hommages déjà très personnels aux maîtres du passé (Valse romantique, Nocturne, Mazurka, Ballade…), jusqu'aux moirures plus symbolistes qu'impressionnistes des sublimes Images. Le piano d'Élodie Vignon, magnifiquement capté dans l'acoustique généreuse du studio de Flagey en Belgique, est ample, sincère, mais manque paradoxalement du mystère invoqué. Pourtant, il y a du souffle et du rêve, notamment dans le magnifique Prélude à l'après-midi d'un faune qui ouvre l'album, dans sa version pour deux pianos, en compagnie de Nathanaël Gouin. Dix minutes de temps suspendu qui laissent augurer du meilleur. Mais on ne retrouve pas ce mystère dans les pièces de jeunesse, il est vrai moins riches musicalement, ni même dans la plus aboutie Suite bergamasque. Le geste est clair mais un peu uniforme. Elodie Vignon reste sage dans le célèbre Clair de lune sur un tempo bien neutre.
Le deuxième disque couvre une période plus dense avec des pièces aussi complexes que les Images, les Estampes, Pour le Piano, où Debussy explose les rythmes et les harmonies, entrecroise les lignes mélodiques et les accords. Élodie Vignon est irréprochable dans la lisibilité de son jeu. Mais là encore, on attend un peu plus de folie et de mystère dans Poissons d'or, Masques, ou encore le feu d'artifice de L'Isle joyeuse, hommage à la grâce et à l'ambiguïté du peintre Watteau. Le mystère, on le retrouve cependant dans les trois Estampes, plutôt des estompes où Élodie Vignon capte parfaitement l'irréel des Pagodes ou de Jardins sous la pluie. De quoi espérer un peu moins de sagesse et plus de magie pour la suite de l'intégrale, avec notamment les Préludes.